La déprime des jeunes en formation
Chronique
AbonnéCHRONIQUE. Déjà touchés de plein fouet par le covid, les étudiants et apprentis voient aujourd’hui leur situation financière déjà précaire se péjorer avec l’inflation, s’inquiète notre chroniqueuse Céline Vara, qui redoute les conséquences

A l’heure où la Suisse se classe (encore et heureusement!) au sommet des meilleures écoles post-obligatoires, le déni de la dette et de la précarité des étudiant-e-s ne peut plus être un tabou. Au début des années 2000, le film Tanguy, mettant en scène la vie d’un jeune homme ne voulant pas quitter la maison de ses parents, nous renvoyait à cette jeunesse prenant le contre-pied des générations précédentes. La soif d’indépendance des enfants, parallèle à la nécessité des parents de se voir rapidement déchargés d’une bouche à nourrir, a fait place à une dépendance matérielle des jeunes incapables de subvenir à leurs besoins essentiels. Non pas par fainéantise, même si le confort certain du cocon parental a ses avantages, mais par nécessité. Les chiffres des dernières années parlent d’eux-mêmes: 80% des étudiant-e-s travaillent pour financer leur formation. Les jeunes principalement concerné-e-s ont entre 18 et 25 ans, soit la catégorie d’âge qui accuse le plus haut taux d’endettement.
Il existe cependant peu d’études récentes qui permettent de chiffrer la précarité estudiantine. Une des dernières études date de 2016 et indique que 18% des futur-e-s diplômé-e-s de 21 à 30 ans rencontrent des difficultés financières. Cette précarité a été observée à plus petite échelle dans le cadre d’une étude interne à la HES-SO de Sierre, mais donne un résultat qui peut certainement être transposé à une situation plus générale: sur les 155 élèves interrogé-e-s au sujet de leurs conditions de vie, plus de 70% d’entre eux/elles disposent d’au maximum CHF 1000.- par mois pour vivre. Pour celles et ceux qui ne vivent plus avec leurs parents, par choix ou par obligation, les dépenses principales sont bien évidemment le loyer et l’alimentation. Quand on connaît le montant des salaires des apprenti-e-s, mais aussi la difficulté pour les étudiant-e-s de trouver des jobs correctement payés en parallèle à leurs études, le constat est clair: même avec des bourses d’étude ou d’autres aides étatiques comme les subventions pour les primes d’assurance maladie, l’endettement et la pauvreté guettent. Comme pour les autres catégories de population au budget déjà fragile, l’inflation a donné le coup de grâce.
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Au sortir de la pandémie de Covid-19 qui, pendant deux ans, a réduit considérablement les perspectives d’emploi d’appoint, les jeunes en formation sont désormais confronté-e-s à une augmentation de leurs dépenses essentielles et doivent mettre en place des stratégies de survie. Travailler plus pour gagner plus, c’est, en langage estudiantin, rallonger d’autant la durée des études et parfois arrêter complètement la formation en cours. Mais c’est aussi la tentation de l’emprunt qui compromet déjà un début dans la vie active libre de dettes!
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La précarité estudiantine a des conséquences majeures sur la santé mentale des jeunes, alors que les perspectives sont assombries. Dans un monde proche de l’écroulement où l’on investit plus dans la fabrication et la vente d’armes de guerre que dans le sauvetage de ce qu’il reste de notre biodiversité et du vivant, il ne faut pas s’étonner que les jeunes filent du mauvais coton. Le taux de dépression chez les jeunes a pris l’ascenseur ces dernières années et beaucoup d’entre eux/elles ne trouvent plus de sens à poursuivre une formation qui, dans ce monde si instable, n’est pas en mesure de leur assurer un avenir.
Pourtant, de tout temps, les pays qui ont investi massivement dans l’éducation et l’accès au savoir en ont ensuite récolté les fruits, sous la forme d’une société pacifiste, solidaire, empathique et prospère. Sans enfants, l’humanité s’éteint. Il serait temps de se pencher à son chevet et de mettre les moyens politiques et financiers pour que nos jeunes retrouvent la soif d’apprendre et de vivre. A quoi bon avoir les meilleures écoles, si leur accès se fait au prix de la survie?
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