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Discussion avec l’ambassadeur de Chine en Suisse

A l’occasion du 60e anniversaire de la République populaire, Dong Jinyi reçoit des journalistes

Ce 1er octobre est jour de liesse en Chine. La République populaire célèbre son soixantième anniversaire. 60 ans de «Chine nouvelle» qu’on peut résumer en trois phases: une libération, 30 ans de planification maoïste et 30 ans de réformes denguistes. Beaucoup de désastres et un redressement spectaculaire, pour faire très simple.

Pour l’occasion, l’ambassadeur de Chine en Suisse, Dong Jinyi, a invité il y a une semaine une vingtaine de journalistes suisses et chinois autour de sa table pour présenter son pays dans le cadre d’une «rencontre amicale». Parfaitement francophone – il a fait des études de littératures à Rennes dans les années 1970 – l’ambassadeur Dong a réalisé toute sa carrière dans la diplomatie, dont une partie au département du protocole. Chaleureux, affable, décontracté, l’ambassadeur Dong est aussi le digne représentant de cette Chine officielle aujourd’hui décomplexée, sûre ­d’elle-même et fière de sa puissance retrouvée.

Comme toujours avec un représentant de l’Etat chinois, la rencontre a débuté par une avalanche de chiffres en tout genre. En 60 ans, la Chine s’est hissée du rang de l’un des pays les plus pauvres de la planète à celui de troisième puissance économique mondiale (bientôt la deuxième). Spectaculaire. L’ambassadeur a ensuite eu un mot pour les relations bilatérales qualifiées d’«importantes», en rappelant que le premier joint-venture créé en Chine le fut avec une société suisse.

Quel sera le thème des célébrations cette année? «Les nouveaux progrès du socialisme et de la Chine nouvelle», a répondu l’ambassadeur en précisant que le chiffre 60 était très important dans la culture chinoise, car il symbolise l’harmonie entre le Ciel et la Terre. C’est aussi la fin d’un cycle dans le calendrier traditionnel. Mais cela, il ne l’a pas dit. La deuxième question a été posée par la correspondante de l’agence «Chine nouvelle». Elle portait sur l’ONU et le discours du président Hu Jintao. L’ambassadeur Dong a pu lire la réponse sur son ordinateur et développer sur le thème de la lutte contre le réchauffement climatique. En vue de Copenhague, la Chine s’en tiendra à ce principe: une responsabilité commune mais différenciée. Traduction: la Chine est prête à tous les efforts, mais c’est aux pays développés de montrer l’exemple en aidant financièrement et technologiquement les pays en voie de développement.

Après un premier service au buffet accompagné d’un vin rouge chinois, la discussion a pris une tournure plus improvisée. Taïwan? «La situation évolue paisiblement depuis que le Kuomintang est de retour au pouvoir. Du moment que l’on s’accorde sur le principe d’une seule Chine, on peut parler de tout.» La peine de mort? «Je ne connais pas le chiffre. Les exécutions diminuent avec la nouvelle loi. Mais les Chinois y sont attachés.» Le Japon? «60 ans plus tard, la Chine attend toujours des excuses écrites» pour les crimes de guerre. Les tensions avec l’Inde? «Un problème créé par les médias.» Le déficit démocratique? «Cela évolue progressivement, il faut tenir compte de la taille de la Chine.» Les effets de la crise économique? «Le plan de relance fonctionne: un tiers pour les infrastructures, un tiers pour le social, un tiers pour l’environnement.» Là, l’ambassadeur a ajouté un premier commentaire: «L’avantage de la Chine est qu’elle décide et exécute rapidement. A la différence de la Suisse, très démocratique, mais où il faut attendre parfois dix ans entre une décision et sa réalisation.» Beaucoup de Suisses, surtout dans les milieux économiques, ne tiennent pas un autre discours à leur retour de Chine.

On continue? L’autosuffisance alimentaire? «Elle est garantie. La Chine n’a pas besoin d’acheter des terres à l’étranger.» Les risques d’éclatement de la Chine? «S’il y a un véritable problème séparatiste en Chine, ce ne sera pas comme au Kosovo, mais une guerre mondiale. C’est pourquoi il faut parler d’une Chine unique.» Etc... Il y a encore eu cette question: Xi Jinping – le dauphin présumé de Hu Jintao – n’a pas grimpé dans la hiérarchie militaire lors du dernier plénum. Le cadre communiste que vous êtes peut-il nous dire s’il s’agit d’un signe de tension interne? Réponse de l’ambassadeur: «Le système chinois fonctionne sous une direction collective. C’est comme en Suisse!» Certes, sauf que la Suisse vit dans un régime de multipartisme. Dong Jinyi a souri.

Est-ce par politesse ou parce que l’on connaissait déjà la réponse, ­personne n’a abordé de front les questions sensibles du Tibet et du Xinjiang. A l’heure du café, l’ambassadeur, en réponse à la question d’un journaliste, et «à titre tout à fait personnel», a de son côté jugé la gestion suisse de l’affaire libyenne pas du tout satisfaisante. «Pourquoi les Suisses n’ont-ils pas fait bloc derrière le président Merz? Les Libyens ne peuvent pas comprendre.» Sans doute est-ce le problème d’un pays «très démocratique».

Au terme de près de trois heures de réunion, tout le monde est reparti en se saluant respectueusement. Il aurait été inimaginable d’avoir de tels échanges avec un tel interlocuteur dans une pareille atmosphère lors du 50e anniversaire de la République populaire. C’est vrai, la Chine change.

Ce premier octobre est jour de liesse en Chine. La République populaire célèbre son 60e anniversaire. Comme en 1949. La différence: seuls quelques privilégiés assisteront aux festivités. Le peuple se divertira devant la télévision. A Pékin, jamais l’appareil sécuritaire n’a déployé de tels moyens. La crainte de manifestations de mécontentement tourne à la paranoïa. Si la Chine projette, à l’exemple de son ambassadeur en Suisse, l’image d’une nation qui s’est «redressée», comme l’avait proclamé Mao en 1949, son pouvoir dictatorial n’en apparaît pas moins toujours aussi fragile.

Journaliste à la rubrique étrangèredu Temps