Opinion
OPINION. Face au drame que représentent les divorces pour les enfants, l’avocate Irène Wettstein plaide pour une évolution de la procédure judiciaire avec un système où tout serait mis en œuvre pour minimiser le conflit entre les parents et où tous les professionnels collaboreraient

Inutile de brandir les statistiques. Nous connaissons tous un cas de séparation où les enfants sont pris en tenailles entre leurs parents. Comme avocate, je suis souvent confrontée à ce type de cas. Trop souvent. En discutant avec des pédopsychiatres et psychologues, il apparaît évident que ce problème dépasse le cadre juridique.
Les parents sont responsables du comportement qu’ils adoptent à l’égard de leurs enfants dans le cadre de leur séparation. Force est toutefois de relever que le processus judiciaire ne les aide qu’insuffisamment à éviter les tensions, voire les dérapages dans ces moments difficiles. Parfois, il les attise.
Impuissante à ce désastre
Le rôle de l’avocat est essentiel. Celui-ci est souvent le premier professionnel que consulte un parent en instance de séparation. Il lui appartient de conseiller le client et de défendre ses seuls intérêts. Or, déjà à ce stade, le risque existe d’aggraver le conflit parental parce que, selon sa propre éthique, l’avocat prendra plus ou moins en compte la préservation du bien-être des enfants concernés par la situation. Certaines pratiques doivent changer dans ma profession. Charger, voire agresser l’autre parent dans nos écrits et plaidoiries est une méthode qui peut paraître efficace à première vue pour la défense de notre client. Toutefois, le bien-être de ses enfants, si difficilement mesurable, n’est-il pas l’intérêt principal du mandant? Il nous faut avoir à l’esprit que toute parole blessante à l’égard de l’autre parent est susceptible de parvenir en écho auprès de son enfant, celui-ci étant ainsi pris à témoin et instrumentalisé. Il nous incombe d’y veiller.
Et puis, il y a ces enfants, déjà fragilisés par la séparation, qui voient leurs parents désemparés, en colère ou en décompensation psychologique suite aux décisions judiciaires rendues
Les avocats ne sont cependant pas les seuls maîtres du jeu. Le système judiciaire est aussi défaillant. Je déplore notamment la nécessité du dépôt d’écritures pour initier la procédure de séparation, car elles ancrent les positions respectives des camps. Le temps qui s’écoule jusqu’à la première audience cristallise les tensions. Les mesures judiciaires, parfois prises dans l’urgence, génèrent des conséquences désastreuses sur le long terme. Il y a ce père que l’on expulse du foyer et à qui le juge interdit tout contact avec ses enfants sur la simple accusation d’une mère et qui portera le stigmate de l’homme violent. Il y a cette mère qui se voit refuser par le juge une contribution d’entretien suffisante de sorte qu’elle devra s’adresser aux services sociaux pour compléter son budget tout en gérant en parallèle une situation de crise au foyer. Et puis, il y a ces enfants, déjà fragilisés par la séparation, qui voient leurs parents désemparés, en colère ou en décompensation psychologique suite aux décisions judiciaires rendues.
Avocate, j’assiste parfois impuissante à ce désastre. Je plaide ici pour une évolution de la procédure judiciaire. Un système où tout serait mis en œuvre pour minimiser le conflit entre les parents et où tous les professionnels (juges, avocats, psychologues, assistants sociaux, etc.) collaboreraient pour le bien-être des enfants.
Pour une intervention rapide du juge
Ma conviction est que les parents séparés aspirent à un apaisement et non à la continuation des hostilités. Il faut donc que des moyens leur soient donnés pour construire ensemble les modalités de leur séparation, avec l’aide du juge, des avocats et, au besoin, de thérapeutes. Ceci impliquerait l’intervention rapide du juge et ce, dès les prémices de la séparation, avant même le dépôt d’écrits par les avocats. D’emblée, celui-ci entendrait les enfants et imposerait une voie de conciliation aux parents. Celles-ci sont diverses: la médiation, le processus de droit collaboratif mené sous l’égide d’avocats spécialisés dans cette pratique et/ou une thérapie travaillant sur la coparentalité. Ce même juge vérifierait ensuite la mise en œuvre et le respect des démarches. Le Service de protection de la jeunesse serait systématiquement impliqué, avec plus ou moins d’intensité selon la gravité de la situation. Aux premiers signes de dérapage, le juge prendrait des mesures et nommerait un curateur pour les enfants.
Ailleurs, en Allemagne, en Belgique, en Norvège, aux Pays-Bas, des systèmes de ce genre existent et les mesures ordonnées par le juge ont déjà fait leurs preuves. Le canton du Valais vient d’entamer un processus pilote pour mettre en œuvre l’un de ces modèles, à savoir la méthode Cochem. Le canton de Vaud doit engager une réflexion de ce type. Il est vraiment temps.
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