Il y avait autrefois dans notre souvenir un proverbe capable d’énerver tous les oiseaux de nuit que nous connaissions: «Coucher de poule/lever de corbeau/éloignent la foule/d’aller en tombeau.» Traduction simple: «L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.» Mais «le problème», dit un tout récent article du Temps (à lire ici), «c’est qu’il appartient aussi à ceux qui se couchent de plus en plus tard». Autrement dit: vu la tyrannie de la disponibilité qu’exige souvent le travail à l’ère numérique, «dans le paradigme néolibéral mondialisé, le sommeil est fondamentalement un truc de loser».

Salaire oui, bonheur non

Argh. Et nous qui croyions naïvement que dormir, comme rire, c’était «bon pour la santé». Publié sur la page Facebook (FB) du Temps, cet article à thèse de Julie Rambal (@julie_rambal sur Twitter) qui examine aussi – soyons honnête – les risques sanitaires liés au déficit de sommeil, suscite un débat passionnant – et passionné. D’autant que «la tendance early morning fait seulement miroiter un plus gros salaire» et que «personne n’a dit qu’elle rendait plus heureux», conclut l’auteure.

Ces dernières phrases donnent le «la». Sur FB, la tendance majoritaire des plus de 80 internautes qui commentent ledit «paradigme néolibéral» est à la révolte. A l’instar de N. R. estimant qu'«on est tous le loser de quelqu’un», elle qui se «tape régulièrement de belles journées molles, à rêvasser, bouquiner, geeker, dormir», au contraire des «superwinners»; ou de N. M., qui se demande si «manger et respirer est encore considéré comme normal» ou si c’est «aussi un truc de loser». Un truc d'«übersuperloser», comme l’écrit M. F., qui «aime ça».

Une «légère envie de dire m…»

Tout aussi énervé, R. L. a une «légère envie de dire m… au monde néolibéral qui amène les gens au stress, à la dépression, à la guerre des nerfs et à une compétition malsaine»; il donne le conseil suivant: «Vivez votre vie avec vos passions et vos envies sans vous tuer au travail au quotidien. Il faut trouver le bon équilibre.» Ou alors, il faut se résoudre à ironiser, comme F. C. B.: «Très bon article.» Message envoyé «du fond de mon lit, sur mon matelas douillet». Pire, à se gausser, telle C. S.-M. qui propose: «Essayez l’insomnie, c’est génial, comme accomplissement de soi!»

Il faut «prendre le temps»

Non, décidément, la tonalité générale de celles et ceux qui expriment leur opinion est de l’ordre de la contre-recette. Si l’on cherche le bonheur, bien sûr. Pour B. J., «une journée, c’est se réveiller tranquillement, ouvrir ses yeux délicatement, repenser à ses rêves et se lever sans être déjà dans le train avant d’avoir passé à la douche. Les Biver et autres ne me fascinent pas. Ils ratent ce qui est devenu très précieux: prendre le temps.»

J’en ai «la chair de poule»

Les questions de santé ne sont pas non plus absentes de ce roboratif débat: selon C. E., l’article se trouve être «en total décalage, car depuis la nuit des temps, il est prouvé que le sommeil veille au grain et que pour être actif et performant, il faut dormir du sommeil du juste». La perspective d’y déroger donne à E. M. «la chair de poule», qui souhaite du coup une «bonne nuit à tous».

L’exemple de Régine en ses cabarets

Mais il serait injuste de ne pas rééquilibrer les choses en ne donnant pas le mot de la fin à Régine, la star historique des nuits parisiennes en cabaret, que cite S. D. De «sa voix rocailleuse», elle avait donné une interview au cours de laquelle elle disait dormir «à peine quatre heures voire cinq» par nuit – ou par «jour», en l’occurrence. «Dormir est perte de temps…», soutenait-elle. Aujourd’hui, on dit «perte d’argent».

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