Immobilier
L’interview du président de l’Asloca Vaud expliquant comment obtenir une baisse de loyer a fait réagir une régie lausannoise, qui menace de boycotter les locataires contestataires. Tollé

Ce week-end, le droit du bail s’est retrouvé au cœur d’une polémique. En cause, une vidéo publiée sur le site de 24 heures dans laquelle le président de l’Asloca Vaud, César Montalto, dispense ses conseils pour obtenir une baisse de loyer. Il invite notamment les locataires à contester systématiquement leur loyer initial, que celui-ci ait été augmenté ou non, soulignant que la demande fonctionne dans neuf cas sur dix.
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Une séquence de type «serviciel» qui n’a visiblement pas plu à la régie immobilière Robert Crot. Sur sa page Facebook, elle se montre menaçante: «Notre entreprise prend acte, avec consternation, de l’incitation aux locataires, relayée sans esprit critique par 24 heures, à ne pas respecter les dispositions des contrats qu’ils viennent de signer! La Gérance Robert Crot & Cie SA invite d’ores et déjà chaque propriétaire à ne conclure aucun bail à loyer avec des personnes qui auraient préalablement usé de la contestation du loyer initial.»
«Respectez-vous la loi?»
Sur le même portail, la riposte de l’association de défense des locataires n’a pas traîné. «Il va sans dire que nous restons sans voix. Faire valoir ses droits lorsque la situation le permet nous semble aller simplement dans le sens de notre état de droit.» Sur les réseaux sociaux, les réactions de locataires outrés s’accumulent. «Je croyais que les listes noires étaient interdites dans notre état de droit… qu’en est-il de votre côté, respectez-vous la loi?» lance un usager à l’intention de la régie lausannoise. «J’invite tous les locataires à ne conclure aucun bail avec les gérances qui incitent les propriétaires à bafouer le Code des obligations», renchérit un autre. «C’est à cause de ce genre de réaction qui vise à effrayer les locataires que les prix du marché sont beaucoup trop hauts!» ajoute un troisième internaute.
30 jours pour contester
En Suisse, demander une baisse de loyer après la signature du bail est possible à certaines conditions. Le chapitre «bail à loyer» du Code des obligations est très clair à ce sujet. «Lorsque le locataire estime que le montant du loyer initial est abusif au sens des articles 269 et 269a, il peut le contester devant l'autorité de conciliation dans les 30 jours […] s’il a été contraint de conclure le bail par nécessité personnelle ou familiale ou en raison de la situation sur le marché local du logement et des locaux commerciaux; ou si le bailleur a sensiblement augmenté le loyer initial par rapport au précédent loyer.» Dans la pratique, on parle d’une augmentation d’au moins 10%. Les contestations doivent être notifiées par voie de recommandé et ne s’appliquent qu’aux loyers libres.
«Déclaration terroriste»
Cela étant, les rumeurs persistantes sur l’existence de listes noires et la peur de représailles découragent de nombreux locataires. «Seul un locataire sur dix décide de faire opposition, souligne l’avocat César Montalto. Pourtant, le droit le protège d’une expulsion durant les trois ans qui suivent la procédure de contestation.» A ses yeux, la réaction de la régie Crot s’apparente à une «déclaration terroriste» qui vise à «semer une peur injustifiée chez les locataires». «Les gérants poussent les propriétaires à augmenter les loyers, en espérant que la pilule passe chez les locataires, dénonce-t-il. En rappelant les dispositions légales en vigueur, j’ai visiblement touché une corde sensible.»
«Liberté de contracter»
De son côté, Nicolas Daïna, directeur de la gérance Crot, ne nie pas les droits des locataires mais invoque la «liberté de contracter» des propriétaires que «personne ne défend dans ce débat». «Tous ne sont pas des profiteurs, je les incite simplement à ne pas s’engager avec des locataires qui ont un historique de contestation du loyer initial. Parler de liste noire est absurde, un simple système de gestion offre une traçabilité sur les dégâts ou les contentieux.» Le directeur précise qu'aucun des locataires de sa régie n'a subi de représailles après avoir contesté son loyer.
Coïncidence ou non, l’Asloca a organisé samedi à Lausanne une manifestation décalée en se mettant dans la peau de bailleurs cupides. L’occasion de dénoncer la pénurie de logements dans le canton et la pression exercée sur les locataires malgré un taux hypothécaire au plus bas.
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