Savoir si Bob Dylan méritait de recevoir le Prix Nobel de littérature a été largement discuté à travers le monde. Mais, si un Nobel de muflerie devait être décerné, nul doute qu’il le gagnerait sans peine. Le chanteur vient en effet de livrer in extremis son discours au comité, exercice obligatoire pour toucher le montant du prix! Auparavant, il avait commencé par ne pas réagir à sa nomination alors que la secrétaire générale l’avait appelé et lui avait envoyé nombre de courriers électroniques.

Après deux semaines de complet silence, il daignait enfin prévenir l’Académie suédoise qu’il acceptait le prix. Très tardivement, il refusait en décembre de se rendre à la fastueuse soirée donnée à Stockholm en l’honneur des lauréats, prétextant son agenda alors même qu’il n’avait aucun concert prévu à cette période. Un camouflet! Ensuite, grand silence jusqu’au 1er avril où il a reçu sa distinction en catimini, sans cérémonie ni flonflon. A cette occasion, il lui fut encore une fois rappelé qu’il devait fournir son discours de réception, comme l’exigent les statuts, sous peine que les 8 millions de couronnes (soit 800 000 euros, une belle somme!) restent dans les caisses de la Fondation.

L’exemple de Godard

L’homme a donc enfin fourni son pensum ce 6 juin, quatre jours avant la date butoir, sous forme orale, et il empochera l’argent avec cette désinvolture affichée par les artistes de la contre-culture. Cette livraison de dernière heure prouve les limites des postures anticonventionnelles lorsqu’un tel pactole est en jeu! Pour Dylan, snober ces idiots du Nobel qui lui décernent le prix de littérature, c’est naturel. Mais renoncer à leur fric, cela supposerait une tout autre grandeur d’âme! A sa décharge, il n’a rien demandé à personne et, pour quelqu’un qui a construit sa carrière sur l’anti-establishment, obtenir une aussi bourgeoise distinction n’est sans doute pas confortable. Il y avait pourtant de plus élégantes manière de la refuser et l’on se souvient de Jean-Luc Godard snobant l’Ordre du Mérite avec son fameux: «D’abord, je n’ai aucun mérite et surtout je n’ai d’ordres à recevoir de personne.»

Dès le texte arrivé, la secrétaire perpétuelle de l’Académie Nobel qui a avalé jusqu’au bout les couleuvres de son candidat, s’est exclamée: «Le discours est extraordinaire!» Pourtant, à l’avoir lu, il s’agit d’une dissertation banale où il épilogue sans grand génie sur ses inspirations littéraires. Impossible de lui reprocher ces platitudes puisqu’il ne s’agit pas d’un écrivain mais d’un chanteur, qui réaffirme dans son texte que la musique n’est pas de la littérature: «Si une chanson te touche, c’est tout ce qui importe. Je n’ai pas à savoir ce que veut dire une chanson. J’ai écrit toutes sortes de choses dans mes chansons. Et je ne vais pas commencer à me préoccuper de ce que ça signifie.» C’est fort mal dit mais présente du moins le mérite de la cohérence. Le problème, c’est qu’il a reçu le prix de littérature le plus prestigieux du monde après qu’un membre du jury l’a qualifié de «plus grand poète vivant», sans craindre d’exhiber ainsi les limites de sa culture.

Populisme du Comité Nobel

Dans son testament, Alfred Nobel voulait récompenser chaque année «des personnes ayant rendu de grands services à l’humanité, permettant une amélioration ou un progrès considérable dans le domaine des savoirs et de la culture.» Même si l’on aime bien les chansons de Bob Dylan, il faut admettre que l’on est loin du compte et les membres du comité de sélection, qualifiés méchamment par l’écrivain Irvine Welsh de «vieux hippies baragouinant», se sont diablement fourvoyés.

Ignorant que tout ce qui est excessif est insignifiant, et emportés par l’envie de dynamiter leur belle endormie, ils ont cru manifester de l’audace là où il n’y avait que du populisme! Leur choix du Nobel de littérature 2016 est malheureusement symbolique du relativisme de notre époque. Il entérine la disparition de la notion de grandes œuvres, que cette distinction prestigieuse avait au contraire le devoir de pérenniser.

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