Les blessures qui se referment avec la mort de Ben Laden ne se résument pas à la soif de vengeance assouvie pour les 3000 victimes qui hantent encore, et hanteront à jamais, le sud de Manhattan. L’Amérique a traversé ces dix ans blessée dans son essence même, doutant de son statut de superpuissance, de son rôle, de la place qu’elle doit occuper dans un monde en mouvement.
Ces doutes et cette inquiétude avaient déjà grandement contribué à porter au pouvoir Barack Obama. Terminée, l’ère des «croisades» et des profondes incompréhensions: le jeune président démocrate collait mieux que quiconque à son époque et son élection représentait une sorte de bain rituel, destiné autant à en finir avec les stigmates du 11 septembre qu’avec les excès et l’hystérie qui avaient suivi. Aujourd’hui, paradoxalement, c’est ce même président qui, finissant d’endosser l’habit de grand prêtre, offre le sacrifice final de Ben Laden, en jetant son corps à la mer.
Mais la fin de cette traque, et la victoire que signe ainsi Barack Obama, ne se limite pas à cette série de symboles. La guerre en Afghanistan, dans laquelle les Américains se sont embourbés sans cœur et sans objectif clair, sera sans doute réévaluée en profondeur sous cette nouvelle lumière. Les abus commis sous la bannière du Patriot Act, les budgets effarants concédés à la sécurité et au renseignement (ces derniers ont plus que triplé depuis 2001) pourront également être revus plus facilement, tandis que l’Amérique reprend aujourd’hui confiance en elle-même.
En annonçant dimanche soir le succès de l’opération contre celui qui incarnait le mal absolu pour les Etats-Unis, Barack Obama a su garder le triomphe modeste. Mais il a surtout suggéré entre les lignes l’ouverture d’une ère nouvelle pour son pays. Le moment est propice sur le plan intérieur, mais aussi, notamment, face à un monde arabe qui n’avait pas attendu la disparition de Ben Laden pour entamer l’une de ses plus grandes mutations.
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