La rivalité sino-américaine plonge l’Organisation mondiale de la santé dans la tourmente. La volonté de l’administration Trump de geler son financement de l’OMS pour sanctionner le caractère trop «sino-centrique» de l’agence onusienne est un énorme coup de semonce pour la Genève internationale et le multilatéralisme. Elle est surtout une très mauvaise nouvelle sur le front de la santé globale alors que la planète lutte contre une pandémie dévastatrice.

Lire à ce propos: L’OMS vacille après le gel des contributions américaines

La Maison-Blanche envisage d’utiliser ses fonds différemment, à travers d’autres organisations ou de manière bilatérale. L’administration Trump et ses responsables politiques les plus anti-chinois dénoncent avec virulence le manque d’objectivité de l’OMS face à Pékin. Certains envisagent même de créer une organisation alternative à l’OMS.

Les conséquences du retrait américain

La menace est à prendre très au sérieux. Après son retrait dévastateur du multilatéralisme, l’administration américaine constate les dégâts. La Chine a accru considérablement son influence au détriment des Etats-Unis. A Washington, on craint comme la peste la volonté chinoise de réécrire les normes internationales. Mais les deux puissances jouent une partition différente: Pékin est dans le temps long tandis que Trump aspire à étouffer au plus vite, en accablant un bouc émissaire facile, le fiasco de son administration dans la gestion du Covid-19. Pour préserver ses chances de réélection en novembre.

Lire également: David Huang, représentant de Taïwan: «Les critiques envers l’OMS sont fondées»

L’OMS va faire face à de très graves difficultés si la décision de Trump devait se confirmer. Mais elle a sa part de responsabilité. Elle s’est montrée beaucoup trop conciliante face à la Chine dont les manquements (manque de transparence, nombre de morts sous-estimé, partage lent du génome, acceptation tardive d’une mission de l’OMS) deviennent de plus en plus évidents. Pris en otage, l’OMS et son directeur général, Tedros Adhanom Ghebreyesus, pourraient en payer le prix fort. Certains aimeraient revoir la poigne de l’ex-patronne de l’OMS Gro Harlem Brundtland, qui avait tancé les Chinois pour leur manque de transparence lors de l’épidémie de SRAS en 2003. Mais la Chine d’aujourd’hui est autrement plus puissante et l’OMS encore plus affaiblie.

Le moment choisi par les Etats-Unis pour s’attaquer à l’OMS relève d'une attitude irresponsable. Nombre de pays en voie de développement craignent une déferlante de Covid-19 et, pour eux, l’OMS demeure une institution essentielle. Ce dont a besoin l’OMS, c’est d’une autocritique post-crise. Mais aussi, comme l’appelle l’Allemagne, d’un renforcement financier et structurel pour qu’elle puisse être à la hauteur des énormes attentes qu’elle suscite.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.