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Architecture: l’adieu aux monuments

L’architecture iconique, vorace en ressources et en énergie, incarne le vieux monde – celui de la croissance infinie et de la mondialisation heureuse. Mais les temps changent, et la façon d’appréhender le bâti aussi

L’architecte Pierre de Meuron en couverture de T, le magazine du Temps, du 14 mai 2022.
L’architecte Pierre de Meuron en couverture de T, le magazine du Temps, du 14 mai 2022.

Rappelez-vous, c’était au tournant du siècle. Les métropoles des pays riches, puis les villes de moyenne importance, se sont toutes mises à passer commande de spectaculaires temples à la culture, musées, salles de concert, stades polyvalents, des bâtiments prestigieux aux formes fabuleuses. Mesurant le potentiel publicitaire de tels investissements, les entreprises privées se sont, elles aussi, mises à faire ériger des sièges sociaux sensationnels, à qui mieux mieux. Par la seule présence de ces bâtiments extraterrestres, la physionomie d’une ville s’en trouvait transformée, les circulations modifiées. On se déplaçait de loin pour assister au spectacle d’une architecture virtuose et éminemment photogénique. C’était le temps de l’architecture iconique.

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Avec son collègue Jacques Herzog, Pierre de Meuron a été aux avant-postes de cette tendance, et l’un de ses principaux prestataires. Le prestige ajoutant au prestige, les prix qu'on se distribuait dans la corporation venaient couronner ce mouvement. Le binôme bâlois a reçu le Prix Pritzker en 2001, dans la foulée de Renzo Piano, Norman Foster, Rem Koolhaas. Avant eux, Frank Gehry, Christian de Portzamparc, et après, Zaha Hadid, Richard Rogers, Jean Nouvel sont autant de représentants de cette architecture des grands gestes, souvent qualifiée d’immodeste. Et désormais décriée: voraces en ressources et en énergie, difficiles d’entretien, nombre de ces bâtiments semblent à présent incarner le vieux monde – celui de la croissance infinie et de la mondialisation heureuse.

Faire tissu commun

Les temps changent. Aujourd’hui, Pierre de Meuron dit qu’il se consacre davantage à l’urbanisme qu’à l’architecture. C’est-à-dire davantage à ce qui fait tissu commun et contribue à la qualité de vie de toutes et tous. Dans son travail, la vision d’ensemble et l’approche systémique priment; l’esthétique est mise au service de l’environnement et des gens. Cette année et la précédente, le Pritzker a couronné des architectes réputés pour leur travail social, économe, humble, local – Lacaton & Vassal en 2021, Francis Kéré en 2022.

William Faulkner disait de l’architecture qu’elle était le mobilier du temps. Or, les temps changent. Et les architectes aussi.

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