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Le cinéma romand mérite plus qu’un trophée

Il n’y a pas un cinéma suisse. Il en existe, sans compter les films tessinois très minoritaires, au moins deux: le cinéma alémanique, qui ne se porte pas très bien, et le cinéma romand, en si grande forme qu’il a raflé les récompenses les plus prestigieuses, samedi soir, lors de la cérémonie des Prix du cinéma suisse à Lucerne: film, scénario et espoir d’interprétation pour Home d’Ursula Meier, actrice pour Du Bruit dans la tête de Vincent Pluss et acteur pour Luftbusiness de Dominique de Rivaz.

En réalité, cette domination a toujours existé: Ursula Meier succède à ses collègues francophones Mohammed Soudani, premier cinéaste récompensé pour le meilleur film de fiction en 1998, mais aussi Léa Pool (2000), Denis Rabaglia (2001), Vincent Pluss (2003), Dominique de Rivaz (2004) et Greg Zglinski (2005). Autrement dit, depuis une décennie, plus de la moitié des récompenses sont revenues à la Suisse romande, alors que celle-ci ne représente, dans l’absolu, qu’un tiers du marché cinématographique suisse – et n’a droit qu’à un tiers des aides institutionnelles.

Il y a d’abord, derrière cette supériorité romande, une logique historique: c’est bien à l’ouest de la Sarine que les Goretta ou Tanner ont construit les grandes heures de la cinématographie helvétique. Plus récemment, les chiffres ont raconté un attachement de la population suisse à son cinéma totalement différent d’un côté et de l’autre de la Sarine: alors que la part de marché des films suisses s’est écroulée en terres alémaniques, elle a, ces quatre dernières années, quadruplé en région francophone. Enfin, l’approche même des cinéastes paraît très divergente: tandis que les Romands embrassent les images et les thématiques sans aucun complexe et de manière brute, la plupart des Alémaniques, à Zurich surtout, multiplient les effets visuels et les mises à distance comme s’ils se méfiaient de ce qu’ils filment.

A l’issue de la cérémonie de samedi, une question, latente depuis longtemps, n’a donc pas tardé à s’imposer: faut-il continuer à soutenir une seule cinématographie, selon le principe d’une répartition deux tiers alémaniques et un tiers romand, alors que ce dernier fait bien davantage que sa part dans la reconstruction du cinéma national? Un pavé dans la mare. Un tabou même, que beaucoup, samedi soir, déconseillaient d’énoncer à haute voix.