La Cité de la musique, un mélodrame genevois
Grands projets
ÉDITORIAL. Financé par des privés, ce projet de ruche musicale, unique par son envergure, divise à Genève. Il pourrait pourtant réconcilier les enfants d’Ernest Ansermet, fondateur de l’OSR, et les apôtres des Young Gods. Les Genevois trancheront le 13 juin dans les urnes

Une symphonie genevoise. Et peut-être, bientôt, un lamento pathétique. En 2014, un groupe de passionnés imaginait une Cité de la musique, sans équivalent en Suisse romande. Ils ont organisé un concours d’architecture qui a distingué le projet du Genevois Pierre-Alain Dupraz. Ils ont trouvé les financements, quelque 300 millions apportés par des privés. Une manne céleste, aurait dit le poète local Agrippa d’Aubigné. Comment ne pas applaudir la perspective: trois salles, dont une philharmonique de 1600 sièges promise à l’OSR, un essaim de studios destinés à la Haute Ecole de musique, un parc public, le tout à deux bonds de la place des Nations? Un nirvana pour les mélomanes de toute la Suisse et d’au-delà.
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Sauf qu’au bout du lac, la musique est un archipel aussi foisonnant qu’inégalement doté. Les instigateurs de cette Cité n’avaient pas mesuré la précarité de musiciens indépendants que la crise du covid a mis à terre et qui ne voient pas l’intérêt d’une nef qui les exclurait. Ils n’ont pas imaginé non plus que les Vert·e·s, les grognards de l’extrême gauche et de l’UDC, les chevaliers du patrimoine, les porte-étendards du quartier du Petit-Saconnex se ligueraient contre cette ruche et lanceraient un référendum, invitant la population à voter le 13 juin.
Alors certes, il est impossible de ne pas entendre la voix de musiciens fragilisés. Et de ne pas regretter qu’ils restent les parents pauvres des politiques publiques. Mais il n’est pas sûr qu’une victoire les serve, bien au contraire.
La Cité de la musique a le défaut de ne pas les avoir inclus à l’origine. Péché capital? Disons véniel, car tout paraît réparable. Depuis le début de la campagne, ses partisans n’ont cessé d’amender leur concept. Le canton y est allé de son aria, promettant une enveloppe annuelle de 2,5 millions pour les musiques actuelles si le projet se concrétise. N’est-ce pas l’amorce d’une politique à la hauteur de la vitalité des sorciers du son genevois?
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Loin d’être un luxe, cette Cité répond à une urgence: celle des 500 étudiants de la Haute Ecole de musique confinés dans ses salles vétustes et éparpillés dans la ville, celle d’un OSR qui s’époumone au Victoria Hall, celle encore d’une scène jazz, rock, électro volcanique en mal de perspectives. En cas de refus, le 13 juin, c’est bien plus que 300 millions qui s’envoleront. C’est la possibilité d’imaginer ensemble le destin des musiques. Ernest Ansermet et ces satanés Young Gods dans le même chaudron.
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