ÉDITORIAL. Le gouvernement français réfléchit à rendre obligatoire son Service national universel. Au vu des divisions du pays et de la démobilisation de la jeunesse, une réponse est effectivement urgente. Mais la mission telle qu’elle se présente semble irréaliste

Emmanuel Macron voudrait rendre son Service national universel (SNU) obligatoire pour tous les adolescents français, quels que soient leur genre, leur profil social ou leurs origines. Alors qu’il est aujourd’hui principalement constitué d’aspirants gendarmes ou d’enfants de militaires, plutôt de bons élèves, relativement disciplinés, cet engagement civique au garde-à-vous, très paritaire, est vu comme un moyen de créer de la cohésion et de lutter contre le communautarisme chez les jeunes Français.
Fruit de la promesse électorale macronienne de retour à une forme de conscription obligatoire, qui a disparu en France depuis la suppression du service militaire à la fin des années 1990, le SNU, qui reste facultatif, est également de plus en plus présenté comme un outil pour faire émerger la «résilience» et la «force morale» nécessaires pour que la nation assure sa «capacité de mobilisation face à l’inattendu». La guerre en Ukraine est passée par là. Ainsi que cette question: face à une agression similaire, comment réagiraient la jeunesse et la population hexagonales?
Au vu des effrayantes divisions et colères qui parcourent «l’archipel français», fameuse expression du politologue Jérôme Fourquet pour désigner les multiples clivages de cette société, et surtout au vu de la démobilisation civique d’une grande partie de la jeunesse que montrent notamment les chiffres de l’abstention, une réponse semble effectivement nécessaire… et urgente. Un tel dispositif obligatoire pourrait être la solution.
Mais notre reportage du jour montre aussi à quel point le projet est ambitieux. Peut-être trop ambitieux. Ce qui fait douter de son réalisme.
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Une mission «véritablement héroïque»
Passer de 30 000 volontaires plutôt dociles à 800 000 jeunes par année, dont une partie sont turbulents, voire violents, représente un énorme défi logistique, pédagogique et disciplinaire. Où les loger pendant deux ou quatre semaines maintenant que l’on a fermé un grand nombre de casernes? Comment les encadrer avec compétence et assurer leur sécurité? Comment garantir que l’expérience ne tournera pas à la mascarade à très grande échelle?
L’énormité des questions n’est pas loin de rendre la montagne infranchissable dans un pays dont les moyens financiers sont très âprement disputés. D’autant que les enseignants et les militaires, déjà débordés, ne veulent pas s’en occuper. Et que la jeunesse et la gauche y sont radicalement opposées dans un paysage chauffé à blanc par la réforme des retraites et les efforts qu’elle impose, notamment pour des raisons budgétaires.
Un spécialiste du domaine militaire, avec une longue expérience dans les ministères concernés, nous parlait d’une mission «véritablement héroïque». Pour ne pas dire impossible?
P.-S.: L’observation de ce casse-tête insoluble, voire de cette impasse, devrait également nous pousser à réfléchir à deux fois avant de toucher aux dispositifs que nous avons en Suisse.
Lire finalement: Sarah El Haïry: «Le service civil suisse est une source d’inspiration pour la France»
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