Un fœtus a davantage «droit à la vie» qu’un enfant de 5 ans. Voilà une des conclusions que l’on peut tirer des annonces fracassantes de la Cour suprême américaine cette semaine. Un mois après le massacre d’Uvalde qui a coûté la vie à 19 écoliers et deux enseignantes, elle a autorisé jeudi le port d’armes à New York. Vendredi, voilà qu’elle revient sur l’arrêt qui rendait l’avortement possible depuis près de cinquante ans. «Un jour monumental pour la sainteté de la vie», selon le ministre de la Justice du Missouri, pressé de bannir l’interruption de grossesse dans son Etat.

Ces décisions spectaculaires représentent l’apothéose de croisades menées durant des décennies par des conservateurs obsédés par la limitation maximale de l’avortement et la libéralisation maximale du port d’armes. Né dans les années 1970, le lobby de la Federalist Society s’est démené pour que des juges acquis à ses causes siègent à la Cour suprême. Ses militants peuvent aujourd’hui déboucher le champagne, à l’heure trompeuse des #MeToo qui ont fait croire à l’avènement – enfin! – d’une société dans laquelle on pourrait vivre en égaux, avec ou sans utérus. Car le droit de disposer de sa destinée est l’axiome de l’émancipation pour laquelle nos mères et grands-mères se sont battues.

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«N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.» Ces paroles de Simone de Beauvoir sonnent juste, car la décision de vendredi est bien le fruit d’une crise démocratique. Donald Trump était à la manœuvre et la séparation des pouvoirs a été fortement ébranlée par sa nomination de trois juges conservateurs ayant fait pencher la balance. Leur chef de file n’est autre que Clarence Thomas, dont l’épouse avait soutenu la campagne visant à nier la victoire de Biden et à empêcher la reconnaissance des résultats de la présidentielle de 2020. Début juillet, la commission d’enquête sur l’assaut du Capitole veut l’entendre sur son rôle dans ce coup d’Etat manqué.

Fruit d’une crise, la négation du droit à l’avortement en provoquera de plus amples encore. En divisant le pays entre Etats démocrates où il sera maintenu et Etats républicains où il disparaîtra, voire sera criminalisé, cet arrêt creusera le fossé entre deux Amérique. Il accroîtra la pauvreté aussi, puisque les Afro-Américaines des Etats les plus conservateurs, souvent les plus démunies, ne pourront plus y avoir accès. Enfin, en mesurant la légitimité d’un droit à son ancienneté dans l’histoire du pays, les juges font un premier pas vers la remise en question des acquis civiques des minorités raciales et sexuelles, des droits qui ont moins d’un siècle. Les droits des femmes sont les droits de tous. Voilà ce que nous rappelle aujourd’hui douloureusement la Cour suprême américaine.

Notre dossier: Le droit à l'avortement ébranlé