Concurrence pour l’emploi, dumping salarial, inflation des loyers, insécurité: l’étranger est la cible préférée des Suisses, l’exutoire de leurs peurs sourdes. L’immigration européenne, facilitée par la libre circulation négociée en échange du plein accès au grand marché européen, y est pour quelque chose. Son ampleur a dépassé les pronostics. Cela suffit à distiller une inquiétude qu’il serait irresponsable d’ignorer.

Pour calmer le peuple, le Conseil fédéral mobilise la clause de sauvegarde vis-à-vis de tous les Etats de l’Union. Cette décision est vendable à Bruxelles pour trois raisons. La Suisse respecte le contrat avec l’UE. Le dispositif évite la discrimination entre Européens. Il ne s’applique qu’aux séjours de longue durée, ce qui en réduit la portée. Les portes restent grandes ouvertes pour les séjours jusqu’à un an, qui augmenteront.

Le Conseil fédéral n’entrave, finalement, que marginalement l’accès au marché du travail suisse. Berne s’oblige, sur un an, à délivrer 3000 permis B de moins à des Européens que les 57 000 nouvelles entrées annuelles enregistrées en moyenne ces trois derniers exercices. Une baisse homéopathique de 5%. Et, de surcroît, la pleine liberté d’établissement sera rétablie pour les Européens dans une année.

Le caractère cosmétique du dispositif contraste avec l’objectif. Croire que l’on rassurera ainsi les Suisses paraît bien naïf. Parce qu’ils ne sont pas stupides, ils verront bien que la pression migratoire européenne ne diminuera pas vraiment. La migration temporaire, tolérée sans entrave, pourrait même, dans les branches à métiers peu qualifiés qui en bénéficieront, aiguiser la pression sur les salaires. Mais peu de Suisses se sentent concernés par ces emplois…

Des Suisses qui peuvent comprendre, ils l’ont déjà prouvé, que la migration européenne, favorisée pour de bonnes raisons par rapport à la migration du reste du monde, nourrit la prospérité du pays. Mais ils doivent se convaincre que le dumping salarial est partout combattu avec la fermeté promise; et que la petite délinquance, qui jette injustement l’opprobre sur tous les migrants, est sanctionnée comme il se doit. La confiance du peuple se mérite. Pour la gagner, le Conseil fédéral a encore beaucoup de travail.