Une Chambre des communes sans patron. Les élections britanniques auraient dû clarifier les rapports de force entre partis. Elles ont débouché sur un des scénarios les plus redoutés, en ouvrant une ère de marchandage et de profonde incertitude. Même si des négociations entre tories et libéraux-démocrates peuvent aboutir à la formation d’une coalition ou d’un partenariat gouvernemental, elles ne permettront que l’avènement d’un pouvoir faible. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce n’est que la deuxième fois qu’un tel cas se présente. La première, ce fut en 1974, et le pays entra alors dans une des périodes les moins glorieuses de son histoire récente.

Ce n’est pas de bon augure pour l’Europe, qui, au cœur de la tourmente, risque de subir le contrecoup d’une Grande-Bretagne paralysée. Ce marasme politique s’explique: la fin des idéologies, l’avènement du blairisme qui a réduit la distance partisane entre travaillistes et conservateurs et un électorat plus individualiste ont plongé les partis politiques dans une crise identitaire. Le Parti travailliste défendait il y a encore moins de vingt ans les pauvres et il s’est transformé en un des plus grands promoteurs de la City et des caméras de surveillance. Quant aux conservateurs, qui ont longtemps été perçus comme l’aréopage élitaire du pays, les voilà qui érigent la défense des minorités et la santé publique au rang de leurs priorités.

Face à cette volatilité partisane, le système électoral, qui consacre la domination des deux grands partis, est davantage le révélateur d’une crise qui affecte la relation entre le politique et les citoyens que sa cause. Il est certain qu’un système proportionnel occulterait moins la diversité du paysage politique britannique. Mais – on l’a vu en Italie avec la gauche plurielle – il n’est pas non plus gage de gouvernabilité.

Le Royaume-Uni semble découvrir le phénomène. Il est pourtant loin d’être une exception. En Allemagne comme en France, droite et gauche ne sont plus des grilles de lecture satisfaisantes pour traduire la réalité sociopolitique de ces pays. Le cas britannique est un nouvel exemple montrant le défi considérable que les démocraties doivent relever à l’avenir: les partis, qui en sont une des pierres angulaires, ont à prouver qu’ils ne sont pas un simple produit de supermarché, interchangeable à souhait. Ils sont au contraire censés assumer de façon responsable le rôle que l’institution leur a attribué.