Impressionnants, les chiffres sont également méconnus. D’une surface comparable à celle de la Suisse (mais plate), deux fois plus peuplés, les Pays-Bas sont le deuxième pays exportateur de produits alimentaires du monde, derrière… les Etats-Unis. Ici, la culture est intensive, mais aussi l’élevage: le cheptel batave de 115 millions d’animaux est plus important qu’en Suisse. Comme ailleurs en Europe après la Seconde Guerre mondiale, le royaume a industrialisé son agriculture. Très bien organisé, pragmatique et souvent à la pointe des technologies chimiques et mécaniques, il a réussi au-delà des espérances.

Mais au détriment de l’environnement. Pressé par l’Union européenne de réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre et son recours aux pesticides de synthèse, le gouvernement a voulu ce printemps prendre des mesures drastiques. Le problème est qu’elles sont incompatibles avec la filière agroalimentaire telle qu’elle existe aujourd’hui et que, de surcroît, ces mesures ont été très mal communiquées. Déterminés à défendre leur niveau d’activités, les paysans se sont révoltés en bloquant les villes avec leurs tracteurs. Aujourd’hui, le conflit s’enlise.

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Cette jacquerie confirme une rupture dont les Pays-Bas sont loin d’avoir le monopole. D’un côté, la ville qui pollue et entretient le paradoxe d’être coupée des réalités de la campagne tout en prétendant chambouler les modes de vie pour sauver la planète. De l’autre, l’espace rural à qui l’on a fourni au XXe siècle les outils pour dompter cette même nature et nourrir la population, et à qui on explique aujourd’hui qu’il faut produire si possible autant mais sans les facilités, si l’on peut dire, autorisées jusqu’ici.

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Pour les paysans néerlandais, c’est un monde qui s’écroule. Leur révolte est donc économique, mais elle cristallise aussi ladite rupture, que l’on a pu partiellement ressentir en Suisse lors de votations comme celles sur les pesticides l’an passé, en attendant de voir ce que donnera celle sur l’élevage cet automne. On pense également aux Gilets jaunes. Eux aussi se sont élevés avec haine contre une réforme environnementale et sont montés sur les ronds-points et à la capitale avec une détermination impressionnante. Tout récemment au Sri Lanka, dans un contexte certes très différent, le passage en force de tout le pays au bio a engendré l’effondrement de l’économie et la chute du régime après un soulèvement populaire. Les centres et les périphéries ne se comprennent plus. A l’heure où les forêts brûlent, où les rivières se tarissent et où la planète sue, cela ajoute une bien délicate couche sociale au casse-tête des dirigeants censés œuvrer à un inévitable changement de nos modes de vie.

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