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Les deux Viktor et la superpuissance russe

Il suffit de voir l'enthousiasme de l'ambassadeur de Russie en Ukraine

Il suffit de voir l'enthousiasme de l'ambassadeur de Russie en Ukraine pour mesurer la valeur du tournant. En acceptant la candidature de son grand rival pro-russe Viktor Ianoukovitch au poste de premier ministre, le président ukrainien, Viktor Iouchtchenko, a jeté aux oubliettes les derniers souvenirs de la Révolution orange tant vantée en Occident.

Ce tournant n'en est pourtant pas un. Le chef de l'Etat n'avait qu'un choix limité: il pouvait dissoudre la Rada, un parlement sans majorité solide qui s'est livré à un pugilat quasi permanent depuis les législatives de mars dernier. Il pouvait aussi accepter le grand retour de Viktor Ianoukovitch. En choisissant le second scénario, il a opté pour l'unité du pays. Un nouveau scrutin n'aurait fait qu'exacerber les passions et accroître le risque de déstabilisation. Au leader de la Révolution orange aujourd'hui discrédité au sein de la population, de nouvelles élections auraient pu valoir un camouflet.

Le retour d'un proche de Vladimir Poutine à la tête du gouvernement de Kiev n'en est pas moins révélateur du changement de paradigme qui est intervenu au cours de ces deux dernières années. Qualifiée d'autocratie à la dérive voici peu, la Russie a reconquis, grâce aux pétrodollars, le statut de superpuissance énergétique. Viktor Ianoukovitch arrive donc au bon moment. Aux yeux de Moscou, il aura aussi le mérite de réduire, pour l'heure, la menace d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN à laquelle il est, comme une majorité d'Ukrainiens, réfractaire.

D'autres raisons plus profondes expliquent le retour spectaculaire du leader pro-russe du Parti des régions. Depuis la chute du mur de Berlin, les pays postcommunistes ont parfois été bercés d'illusions et n'ont pas été immunisés contre un retour aux affaires de politiciens proches de Moscou. L'Ukraine ne fait pas exception. Très divisé, le camp pro-occidental de Iouchtchenko n'a plus les leviers nécessaires. Car, en Ukraine comme dans d'autres pays de l'ex-bloc soviétique, les populations sont déçues par l'Occident, dont l'image idéalisée s'est fracturée. Elles attendent toujours de voir arriver le projet occidental de grand plan Marshall promis à la fin 1989. Au cœur du rude hiver dernier, l'Ukraine a eu droit aux coupures de gaz du voisin russe. Aujourd'hui, Kiev sait que son salut énergétique est là où l'on ouvre et ferme les robinets: à Moscou.