Ukraine
ÉDITORIAL. En osant honorer d’un même geste Russes, Biélorusses et Ukrainiens, le comité Nobel a rappelé vendredi l’universalité du combat pour les droits humains. Un geste audacieux dans un monde qui juge la couleur des passeports bien plus que les actes
Décerné alors que la guerre en Ukraine aborde un tournant décisif, le Prix Nobel de la paix 2022 fera date. Il n’y avait rien d’étonnant à ce qu’il rende hommage, d’une façon ou d’une autre, aux victimes de Vladimir Poutine qui, au même moment, fêtait ses 70 ans en grande pompe. Ce qui marque en revanche profondément, c’est le courage – le culot! – du comité honorant d’un même geste Russes, Ukrainiens et Biélorusses.
Ce triple hommage qui a provoqué l’amertume, voire la colère de Kiev, ne saurait influencer l’Histoire qui s’écrit sous nos yeux. Il ne changera rien à la folie va-t-en-guerre du Kremlin. Il n’allégera pas l’oppression écrasante des opposants biélorusses, ou les affres des historiens et activistes dans la Russie de Poutine. Par sa profonde originalité pourtant, il jette une lumière nouvelle sur les enjeux de cette guerre.
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D’abord parce qu’à travers ce choix, le comité d’Oslo est parvenu à replacer les événements actuels dans une saisissante perspective historique. Si leurs souffrances sont de nature et d’ampleur différentes, disparus du stalinisme, morts de la guerre d’Ukraine ou Biélorusses assassinés par Minsk sont tous victimes d’une même idéologie: le totalitarisme soviétique dont Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko sont puissamment nostalgiques. Un passé dont l’Ukraine d’avant-guerre ne s’était pas totalement défaite, comme le comité a eu l’honnêteté de le dire en honorant le travail du Centre pour les libertés civiles. Dans son discours, la présidente Berit Reiss-Andersen a rappelé que les militants de Kiev avaient fait «pression sur les autorités pour faire de l’Ukraine une démocratie à part entière». Si le Centre né en 2007 œuvre aujourd’hui à répertorier les crimes de guerre russes, il s’est longtemps battu contre les abus du pouvoir ukrainien. Cette récompense contribue à faire reconnaître un pan de l’histoire ukrainienne que la guerre a largement occulté.
Il y a plus puissant encore. En récompensant des Russes et des Biélorusses, le comité a affirmé que les actes l’emportaient sur la couleur du passeport. Voilà qui devrait faire réfléchir cette Europe qui leur a largement claqué la porte au nez à la suite du 24 février, y compris à ceux qui fuient aujourd’hui l’enrôlement dans leurs armées respectives. En refusant d’écraser l’individu sous la notion de responsabilité collective, le comité assume jusqu’au bout son refus du manichéisme ambiant. Il offre aussi une visibilité aux opposants biélorusses, méconnus et parfois très mal accueillis lorsqu’ils s’enfuient. Alors certes, les épreuves des uns et des autres face au totalitarisme sont difficilement comparables. Mais le puissant triptyque tracé par ce Prix Nobel de la paix 2022 a l’audace d’affirmer la valeur inestimable de celles et ceux qui se battent pour les droits de l’homme, quelle que soit leur nationalité. Un message aussi politiquement incorrect qu’indispensable.
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