Egalité: et si on n'attendait pas un siècle?
Editorial
EDITORIAL. Une étude du WEF révèle que les inégalités homme-femme se creusent de nouveau, également en Suisse. Il faudrait 100 ans pour atteindre l'égalité parfaite dans le monde. Il est temps de prendre des mesures

Il faudra précisément un siècle pour que l’égalité entre les femmes et les hommes soit atteinte dans le monde. Ce délai n’est pas seulement consternant. Selon le Forum économique mondial (WEF), qui l’a calculé, il est aussi plus important qu’il y a deux ans. En d’autres termes, l’égalité ne progresse pas, elle régresse. Et ce qu’il s’agisse d’accès à la santé et à l’éducation, d’opportunités économiques ou de représentation politique. Pour ne prendre qu’un exemple qui frise la science-fiction: au rythme actuel, l’écart salarial prendra plus de deux siècles pour être comblé.
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L’ironie de ces chiffres est glaçante, alors que le sujet des inégalités de genre n’a jamais été aussi dénoncé et fait l’objet d’autant d’études montrant son aberration économique. Car, au-delà de l’aspect simplement éthique, le gain pour l’ensemble de la collectivité d’une plus grande implication des femmes dans l’économie est désormais documenté. Il se chiffre en milliards de francs.
La Suisse à la traîne
L’affaire des autres? Des pays émergents? Oui, mais pas que. Si l’Europe occidentale se porte mieux que le reste du monde, elle le doit avant tout aux pays nordiques, qui enjolivent une moyenne peu réjouissante sans eux. Figurant au 21e rang, la Suisse n’a rien pour se pavaner: elle s’est fait distancer par l’Europe du Nord et par bien d’autres: le Rwanda, les Philippines ou le Nicaragua offrent une réalité plus attrayante pour les femmes, selon le rapport.
Et pourtant. Ni la politique ni l’économie suisses ne semblent particulièrement concernées et émues de cette situation. La seconde affûte ses armes contre le projet de quotas dans les entreprises – l’une des rares propositions dans ce domaine amenées par le gouvernement – mais ne propose strictement rien en échange, si ce n’est une autorégulation qui a justement échoué à faire ses preuves.
Multiples raisons
Or en parler ne suffit pas, c’est certainement le message à retenir de cette étude. On ne cesse de louer le modèle des pays nordiques pour l’égalité des genres, et pas uniquement d’ailleurs. Peut-être pourrait-on arrêter de s’en émerveiller et vraiment commencer à s’en inspirer? Car il ne s’est pas fabriqué par la force de discussions et de débats, mais parce que ces pays s’en sont donné les moyens et ont pris des mesures, parfois provisoires.
Conservatisme, inertie, déni, crainte d’une perte de privilèges, société fondamentalement inégalitaire, une multitude de raisons peuvent expliquer cet écart et l’échec à le prendre au sérieux et à le combattre. Surtout, les décideurs sont principalement des hommes, qui n’y voient pas forcément une priorité.
Un exemple récent l’illustre bien. Le Conseil fédéral – cinq hommes, deux femmes – a raté une bonne occasion d’avancer en se prononçant contre le congé paternité avec l’argument fallacieux du coût pour l’économie. C’est d’autant plus regrettable que cette mesure aurait eu l'avantage d’aider les familles et celui, plus symbolique, de montrer qu’atteindre l’égalité n’est pas qu’une affaire de femmes. C’est un enjeu et un progrès pour tous qui mérite qu’on n’attende pas encore un siècle.
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