ÉDITORIAL. L’affaire des liens privilégiés entre le Département fédéral de l’intérieur d’Alain Berset et le groupe Ringier révèle parfois l’absence de distance entre le pouvoir et la presse. Même s’il ne faut pas généraliser

Les CoronaLeaks: l’expression a surgi ce week-end lors des révélations, par la Schweiz am Wochenende, des procès-verbaux des interrogatoires d’Alain Berset, de son ancien chef de communication, Peter Lauener, et du CEO de Ringier, Marc Walder, notamment. L’affaire est sérieuse. A l’heure où le parlement est court-circuité dans la prise de décision, un chef d’entreprise est informé à l’avance des propositions du Département de l’intérieur, ce qui est pour le moins problématique d’un point de vue démocratique. Mais en fait, l’affaire est plus dramatique pour la crédibilité des médias que pour celle du pouvoir.
Des fuites, il y en a toujours eu. A l’échelle nationale, le phénomène a pris une ampleur sans précédent lors de la législature de 2004 à 2007, lorsque les médias se faisaient l’écho des disputes homériques au Conseil entre Christoph Blocher et ses collègues.
Entre les médias et le pouvoir, la relation est hélas trop souvent incestueuse. De plus en plus, les communicants des conseillers fédéraux contactent les journalistes en les invitant à un tango risqué: «Je te file une info et tu encenses ma cheffe ou mon chef.» Et comme la concurrence est rude entre les médias, surtout en Suisse alémanique, les journalistes entrent en matière. En oubliant que dans ce tango il y a toujours l’un des danseurs qui entraîne l’autre.
Le journalisme, un contre-pouvoir
Ces pseudo-scoops n’ont rien à voir avec le journalisme d’investigation. Une vraie enquête, c’est un travail de plusieurs semaines basé sur des dizaines d’entretiens. Dévoiler deux jours à l’avance un papier soumis au Conseil fédéral témoigne de relations soigneusement entretenues avec les sherpas du pouvoir, mais rien de plus. Or le journalisme, c’est avant tout une posture de contre-pouvoir, celui de poser des questions aussi pertinentes qu’impertinentes.
Durant le contexte très émotionnel de la crise du covid, les médias ont rarement été aussi critiqués. «Ils n’ont fait que de la propagande d’Etat», ont scandé les Amis de la Constitution, le mouvement qui a lancé deux référendums sur les mesures de la loi Covid-19. Les liens privilégiés entre Peter Lauener et le patron de Ringier, Marc Walder, ne peuvent qu’apporter de l’eau à son moulin. Sauf que cette image est fausse. Une étude de l’institut Fög de l’Université de Zurich a montré que les médias n’ont pas fait preuve d’obséquiosité envers le pouvoir.
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Si Alain Berset n’est pas tout blanc et sort affaibli de cette affaire, les médias le sont encore davantage.
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