Une seule question se pose: les électeurs turcs forceront-ils Recep Tayyip Erdogan à renoncer à ses ambitions démesurées? Ils y ont répondu clairement le 7 juin dernier: pour la première fois depuis 2002, ils ont refusé d’accorder au Parti de la justice et du développement (AKP) une majorité absolue au parlement. En d’autres termes, 60% des électeurs n’ont pas voulu du projet caressé et annoncé par le président, Recep Tayyip Erdogan, de transformer la république parlementaire turque en régime présidentiel fort. En cela, ils ont montré leur attachement à leur république, laïque et multipartite, celle créée par Mustafa Kemal Atatürk, le père fondateur de la Turquie moderne.

N’est-ce pas leur faire injure que d’imaginer que, quatre mois seulement après la consultation de juin, ils aient changé d’intention? En raison de l’arithmétique électorale turque, il est impossible de dire si l’AKP obtiendra la majorité de 276 sièges qu’il lui faut pour gouverner seul. Mais depuis qu’Ankara a déterré la hache de guerre contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) cet été, la nécessité de freiner l’appétit de Recep Tayyip Erdogan s’est faite criante. Car le roi est nu: il est prêt à tout pour conserver le pouvoir. Son projet est clair: non seulement renforcer les prérogatives présidentielles et asseoir durablement l’AKP à l’exécutif, mais aussi gouverner sans consulter les autres partis, sans tenir compte des contre-pouvoirs que représentent la justice et les médias. Selon le rapport sur la liberté de la presse (2014) de Reporters sans frontières, la Turquie se place au 154e rang mondial derrière la Russie et l’Irak.

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Le choix des électeurs turcs ne concerne pas que leur pays. Les jeux troubles auxquels les services secrets turcs se sont adonnés en Syrie en favorisant les djihadistes ont de funestes répercussions aujourd’hui. L’abandon du dialogue avec le PKK a aussi des conséquences désastreuses pour toute la région. Quant à l’Europe, elle a besoin d’un partenaire solide à sa frontière avec l’Asie. Comment juguler la catastrophe humanitaire des migrants, qui se jettent à l’eau pour rejoindre les rivages européens, sans l’aide d’Ankara? La Turquie peut être cet interlocuteur. Elle l’a été d’ailleurs lorsqu’elle dialoguait avec Bruxelles en 2005, lorsqu’elle effectuait sa mue démocratique et, jusqu’à récemment, lorsque Recep Tayyip Erdogan tendait la main aux Kurdes, et même au PKK.