L’Espagne s’est résolue à jeter aux oubliettes son inoxydable premier ministre Mariano Rajoy. Ou plutôt – dans une démarche sans précédent pour ce pays – ce sont les parlementaires qui se sont entendus en majorité pour destituer le chef du gouvernement et pour changer d’époque. Il y a peu encore, les électeurs espagnols ne l’avaient pas entendu de cette oreille qui avaient renouvelé leur soutien, bien que très limité, au Parti populaire (PP) de Mariano Rajoy.

Lire aussi: Pedro Sanchez, le pouvoir sur un coup de dé

Entre-temps, il est vrai, c’est la justice espagnole qui s’était chargée de terrasser le premier ministre, sorti dans le déshonneur. Les conclusions des juges ne laissaient aucune place au doute, tant ils insistaient sur l’existence d’un système de corruption «institutionnelle» qui faisait du PP davantage un distributeur illégal de prébendes qu’un parti politique œuvrant au bien commun.

Cette omniprésence de la corruption a empoisonné l’Espagne depuis des décennies, comme une nécrose qui a tout pourri et qui a aggravé, d’une manière ou d’une autre, tous les grands maux dont souffre le pays: de la crise économique à la décrédibilisation de la classe politique, en passant aussi, hélas, par la question de l’indépendantisme catalan ou basque. Aucune de ces questions ne se résume à la corruption. Mais aucun de ces gros points noirs n’aurait pris une telle importance sans la persistance à leur côté de ce système quasi mafieux mis en lumière par la justice espagnole.

La saccade du parlement espagnol est donc une bonne nouvelle. Presque une libération, après que Mariano Rajoy eut passé ces dernières années à faire le dos rond et à nier l’évidence tandis que s’accumulaient les preuves irréfutables et que s’ajoutaient encore de nouveaux scandales.

Lire notre revue de presse: En Espagne, le président Rajoy devrait céder sa place au «beau mec» socialiste

Cette libération ne sera pourtant qu’éphémère. Malgré son triomphe au parlement espagnol, Pedro Sanchez incarne un Parti socialiste pratiquement moribond et dont l’absence de vision n’a fait que se confirmer encore ces derniers temps, à la lumière de la crise catalane. Il a fallu le soutien de… 22 partis et micro-partis au socialiste pour détrôner Mariano Rajoy. Ils apportent avec eux un brouillamini d’intérêts entremêlés, parfois contradictoires, qui aura sans doute tôt fait d’asphyxier le nouveau chef du gouvernement.

Qu’en sera-t-il des défis qui continuent de menacer l’Espagne, au rang desquels, précisément, sa périlleuse fragmentation politique? Qu’en sera-t-il de l’affaire catalane, face à laquelle la méthode Rajoy (appliquée avec le soutien des socialistes) n’a jusqu’ici rien arrangé? L’Espagne vient de s’alléger d’un fardeau et pourra donc courir plus librement. Encore reste-t-il à déterminer clairement la direction de la course.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.