La solidarité, dans la vraie vie comme dans les rapports de force entre Etats, n’est jamais mesurée par les mots. Elle se juge aux actes, et à la capacité de chacun à riposter aux menaces lorsqu’elles sont formulées, et aux agressions lorsqu’elles deviennent réalité.

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Dans le cas de l’Ukraine, cette solidarité, il faut bien l’admettre, ne sera jamais à un niveau susceptible de faire reculer Vladimir Poutine, ce président russe qui conteste l’existence même de son voisin comme Etat indépendant, digne d’être respecté dans ses frontières. Ce constat est sévère. Il vaut aussi pour la Biélorussie, après le simulacre d’élection présidentielle en août 2020 et l’élimination de facto de l’opposition démocratique par le régime d’Alexandre Loukachenko. Mais il fait bien partie de l’équation stratégique dont les pays occidentaux pèsent soigneusement les termes depuis des semaines.

Quelles qu’elles soient, les sanctions économiques et financières déployées contre la Russie n’apporteront jamais aux autorités de Kiev ce qu’elles seraient en droit d’attendre si l’Ukraine était membre de l’OTAN. Dans ce cas en effet, l’agression russe aurait aussitôt entraîné le déclenchement de l’article 5 de l’Alliance, ce principe de solidarité qui contraint ses 30 pays membres à se considérer eux-mêmes comme agressés si l’un d’entre eux est attaqué, sur le modèle de ce qui se passa au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 à New York. Fin de l’histoire. Ce jour-là, nous étions tous Américains. Y compris les citoyens des pays neutres du Vieux-Continent.

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En stratège obsédé par la préservation de la puissance russe, Vladimir Poutine a compris cette évidence. Huit ans après l’annexion de la Crimée en 2014, et quatorze ans après la guerre entre la Russie et la Géorgie conclue avec la reconnaissance par Moscou des deux régions séparatistes, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, le Kremlin a parié sur la faiblesse structurelle de l’Etat ukrainien actuel, où le réel débat démocratique et l’émancipation vigoureuse de la société civile sont malheureusement minés par une corruption endémique et par les complications historiques et géographiques héritées de l’Empire russe, puis de l’ex-URSS.

Ces deux obstacles majeurs font de ce pays grand comme 15 fois la Suisse un partenaire très difficilement gérable pour Bruxelles comme pour Paris, Berlin ou Londres. Sans parler des Etats-Unis qui, tout juste sortis du traumatisme afghan, n’y voient qu’un terrain d’affrontement interposé, où leurs intérêts vitaux ne sont de toute façon pas menacés.

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L’Union européenne, quelle que soit la véhémence justifiée de sa riposte, vit aujourd’hui en Ukraine une situation qui n’est pas sans rappeler le carcan de la neutralité helvétique. La protection du territoire des 27 – dont l’OTAN reste de facto le garant – est son périmètre obligé, qu’il n’est pas concevable d’élargir. Tous les discours sur une défense autonome de l’UE à la hauteur de son modèle démocratique et de ses valeurs devraient donc aujourd’hui s’accompagner de ce simple aveu, en forme d’épitaphe: «Désolés, nous ne sommes pas tous des Ukrainiens.»
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