Cette France qui craque

La France nous inquiète. A un an des élections présidentielles, les convulsions sociales et le sentiment d’impasse politique dans lesquels est englué notre grand voisin constituent un défi de taille. Comment la France peut-elle surmonter ses fractures? Pendant une semaine, «Le Temps» analyse ce pays qui fascine et qui trouble. Ici, notre éditorial.

A un an de l'élection présidentielle, la France semble prise de convulsions. En état d'urgence, paralysée par les grèves, les rues de sa capitale se transforment en scènes quotidiennes d'affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre.

L'économie ne va mieux que dans les rêves de son président, et la classe politique est en lambeaux. Le débat public ne peut plus se tenir depuis que les mots se sont vidés de leur sens. Droite et gauche ont tellement promis sans tenir parole qu'elles ont ouvert la voie aux extrémistes de tous poils, bruns dans les urnes, rouges dans les affrontements de rue.

D'autres facettes pour un pays

Il y a pourtant d'autres facettes à ce pays, moins spectaculaires mais plus inspirantes. Dans une interview que nous mettrons en ligne jeudi, l'écrivain Erik Orsenna nous parlera de trois France, celle des quartiers, celle de la campagne et – la plus dynamique – celle des principales métropoles. Il décrit une France retombée à l'ère féodale. C'est un constat sombre et sévère. On peut aussi y voir la résurgence aussi inattendue que bienvenue de la décentralisation, voulue dans les années 80 par les textes, mais qui semble finir par s'imposer enfin à la faveur des événements.

Les villes sont des lieux où le pouvoir peut s'exercer avec légitimité, où le tissu social n'est pas tendu au point de menacer de craquer à tous moments. A Lyon ou à Bordeaux – où nous serons, au long de notre série –, il fait bon vivre et l'économie se développe. Que l'une soit dirigée par l'UMP Alain Juppé et l'autre par le socialiste Gérard Collomb montre qu'aucun parti n'a le monopole des solutions.

Une politique des petits pas

Alors qu'à Paris, personne ne semble trouver le remède miracle pour remettre le patient France sur pied, les grandes agglomérations ont appliqué la politique des petits pas et cela fonctionne. On est loin du pouvoir central qui adore se mettre en scène sur les chaînes d'information en continu et perd son sens commun, en tentant d'adopter des mesures aussi spectaculaires (la déchéance de nationalité) qu'inefficaces (la loi travail une fois amendée). Il faut moins de paillettes et plus de sueur pour écrire une nouvelle histoire de France capable d'emporter le plus grand nombre.

Cette œuvre ne peut être que le fruit d'une approche collaborative et en réseau, plutôt que hiérarchique et centralisée. C'est la grande réforme politique dont notre voisin a besoin. Car au lieu du Grand Soir ou d'un homme providentiel, le pays a plutôt besoin de milliers d'honnêtes gens prêts à gérer les affaires publiques discrètement et humblement, dans l'intérêt collectif.


Les premiers chapitres de notre série «La France qui craque»

Daniel Cohn-Bendit: «La France est épuisée par le mélodrame de la crise»

L'hypothèse du think tank Les Gracques: Ce dont la France fracturée a besoin, c’est de social-libéralisme

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