La France peut bien être moquée par ses voisins, bloquée par les grèves, et son président au plus bas des sondages, il est encore un événement que le monde lui envie: le rayonnement de ses prix littéraires et le suspense qui les précède.

Cette année, il est à son comble grâce à Michel Houellebecq, enfant terrible de l’édition, dont le dernier livre La Carte et le Territoire est encensé par la critique. L’aura-t-il enfin ce Goncourt qui lui a échappé à deux reprises? On le saura aujourd’hui à 13 heures, en même temps que le Renaudot, son rival, qui pourrait récompenser le livre autoédité de Marc-Edouard Nabe, l’ennemi juré de Houellebecq. Mais avant l’annonce des résultats, que de calculs, de petites phrases échappées, de messes basses, de bruits de couloir savamment distillés! En France, tout est politique. Et tout est littéraire. A l’image des jurés du Goncourt qui ne se contentent pas de consacrer un auteur mais profitent de leur position stratégique pour mesurer leur influence. Didier Decoin, qui s’était opposé au sacre de Houellebecq en 2005, annonce dès l’été qu’il votera pour lui. Tout comme Michel Tournier, qui, lui, rappelle qu’il est un fan de la première heure du Droopy des lettres françaises. De son côté, Pivot lâche un mystérieux «il est favori, certes, mais il y a des exemples célèbres de favoris malheureux». Edmonde Charles-Roux, la présidente du Goncourt, cultive le même suspense, tandis que Tahar Ben Jelloun, pour se démarquer, signait une tribune hostile dans La Repubblica en août déjà.

Ces enjeux assez incestueux, ces jeux d’alliance et ces petites vanités vendues comme des expertises font un peu penser au petit théâtre qui a accompagné l’élection, en septembre dernier, des deux candidats au Conseil fédéral: même campagne commencée en amont, même intérêt médiatique pour ce qui aurait pu être une double élection féminine, mêmes petites phrases assassines de la part des chefs de groupe et même favoris… On espère seulement que Michel Houellebecq ne connaîtra pas le même sort que Karin Keller-Sutter. Il serait dommage que le romancier français le plus lu et aimé à l’étranger, un des rares auteurs à s’intéresser à la physique du monde, soit recalé in extremis par un second couteau. En consacrant Houellebecq, l’Académie du Goncourt, et à travers elle la France, retrouverait un peu de son lustre international. Du moins pendant 24 heures.

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