L’ode au combat commun pour la liberté a résonné, le jeudi 6 juin, sur les plages de Normandie après avoir dominé, la veille, la cérémonie organisée à Portsmouth en présence de la chancelière allemande, Angela Merkel. Soit. Mais faire rimer le débarquement de juin 1944 avec la libération du joug nazi impose, simultanément, de se poser une douloureuse question: quid de l’autre partie de l’Europe qui, à l’est du continent, attendit plus d’un demi-siècle l’écroulement de l’URSS pour jouir enfin de cette liberté chèrement acquise?

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Une plongée dans les archives de la Seconde Guerre mondiale nous ramène immanquablement à ce constat douloureux et terrible: les Alliés du 6 juin 1944 voulaient extirper l’Europe occidentale de l’horreur, mais ils savaient aussi, déjà, combien l’étau soviétique serait difficile à desserrer de l’autre côté du futur «Rideau de fer», comme Churchill le baptisera en mars 1946, lors de son discours de Fulton. Les 160 000 soldats débarqués sur les plages du D-Day en juin 1944 – dont la 1re division blindée polonaise du général Maczek qui s’illustra dans les combats de la poche de Falaise – scellèrent, en somme, la future division de notre continent dévasté.

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Lors des cérémonies de Portsmouth, Ver-sur-Mer (franco-britannique) et Colleville-sur-Mer (franco-américaine), cette réalité s’est trouvée confirmée par l’absence de Vladimir Poutine. Le président russe, dont le pays a subi la plus grande hécatombe durant le conflit, était présent, en 2014, lors de la commémoration du 70e anniversaire du 6 juin 1944. Il était aussi à Paris, le 11 novembre dernier, pour le 100e anniversaire de l’armistice de 1918. N’empêche: son absence lors de cette journée normande, durant laquelle les ultimes survivants du D-Day ont peut-être foulé pour la dernière fois le sol de France, résume le grand malentendu historique qui empoisonne toujours l’Europe de 2019.

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Alors qu’à Prague plus de 100 000 manifestants sont descendus ces jours-ci dans la rue pour dénoncer la corruption de leur premier ministre au nom des valeurs démocratiques européennes, l’hommage rendu aux combattants du D-Day impose aussi de se souvenir des souffrances bien plus longues endurées par les populations sur lesquelles s’abattit, à partir de 1944, l’oppression stalinienne, après l’horreur nazie. Sur le sable ensanglanté d’Omaha, de Juno, de Sword et d'Utah, la bataille pour la liberté menée voici 75 ans cachait aussi une douloureuse reddition politique, source de blessures toujours pas cicatrisées.