A l’époque de la guerre froide, le langage était explicite: la rivalité nucléaire entre l’Union soviétique et les Etats-Unis garantissait une stabilité stratégique par ce qu’on appelait de façon un peu effrayante «l’équilibre de la terreur». Aujourd’hui, dans un monde multipolaire, la détention de l’arme atomique est encore plus préoccupante. Les grandes puissances s’appliquent à développer des armes dites à faible rendement, rabaissant de façon dangereuse le «seuil nucléaire» à partir duquel elles pourraient y recourir.

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Sur cette toile de fond, l’entrée en vigueur ce vendredi du Traité de l’ONU sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est historique, même si le chemin à parcourir est encore très long. Elle couronne le travail considérable de la société civile en faveur de l’élimination totale d’armes dont le terrible impact humain n’a été constaté qu’à deux reprises, à Hiroshima et à Nagasaki. Comme en témoigne dans ce journal une survivante d’Hiroshima et comme l’a très bien décrit Marcel Junod du CICR, peu après le bombardement, les bombes atomiques sont capables de créer des tragédies apocalyptiques.

Ce moment historique, le Conseil fédéral l’a raté. Sommé par une motion approuvée en 2018 par le Conseil national et le Conseil des Etats de signer et de ratifier le TIAN, le Conseil fédéral continue de peser et soupeser l’intérêt ou non de le faire. Son argument, qui est aussi celui des puissances nucléaires, est de dire que le TIAN risque d’affaiblir le Traité sur la non-prolifération (TNP). Ce dernier, très fragilisé, impose aux puissances nucléaires, en son article 6, de désarmer. Un vœu resté pieux.

La Suisse a pourtant été parmi les initiatrices d’une dynamique qui a mené au TIAN. Elle a fait de la promotion de la paix l’un des principes phares de sa Constitution. Et surtout, elle est dépositaire des Conventions de Genève qui prohibent toute arme frappant les populations de manière indiscriminée. Pour qualifier l’entrée en vigueur du TIAN, le CICR ne lésine pas sur les superlatifs: c’est une «victoire pour l’humanité».

La Suisse, qui se targue de sa neutralité, n’hésite jamais à présenter la Genève internationale comme la capitale mondiale de l’humanitaire et des droits humains. C’est un positionnement non seulement judicieux, mais aussi cohérent avec les atouts dont dispose la Confédération. Qu’elle soit cohérente jusqu’au bout! Le Conseil fédéral doit dès lors assumer un acte non seulement humanitaire, mais aussi moral. Sans cela, il continuera de cultiver une ambivalence qui desservira fortement son image.

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