Certains décès en préfigurent d’autres. Jusque dans la mort, le prince Philip reste le mari, l’accompagnant, l’ombre de celle qu’il a épousée il y a 73 ans, la reine d’Angleterre. L’homme avait certes du relief. Son franc-parler, ses saillies et ses gaffes trahissaient un fort caractère qu’il a tenté, du mieux qu’il pouvait, de reléguer au second plan afin de tenir son rang. Ce sens si strict du devoir – que l’on admire, que l’on abhorre ou que l’on préfère ignorer royalement la monarchie britannique – faisait aussi de lui l’homme d’un autre temps.

Ce temps considérait l’institution monarchique comme une évidence. Et l’exercice de la fonction ne souffrait, aux yeux du duc d’Edimbourg, aucune exception. «Never complain, never explain» («Ne jamais se plaindre, ne jamais s’expliquer») demeurait la maxime d’une génération destinée à rester impassible, constante, fidèle à sa mission d’incarner la nation.

Un nouveau rôle pour Londres

Mais le décès du prince Philip, en ce mois d’avril 2021, s’inscrit dans un temps qui est tout autre pour le Royaume-Uni. Hormis la famille royale, les facteurs de stabilité s’y font de plus en plus évanescents. Depuis une semaine, les rues de Belfast voient les affrontements se multiplier. Une époque violente, que l’on croyait révolue, ressurgit à la faveur des incertitudes post-Brexit. Dans un mois, les Ecossais iront aux urnes pour exprimer, selon toute vraisemblance, leur soif renouvelée d’indépendance. Entre Londres et Bruxelles, les tensions ne sont que partiellement retombées, et le Parlement européen doit encore ratifier le traité encadrant la relation à long terme. Enfin, sur la scène internationale, Londres se cherche un nouveau rôle.

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Au-dessus de tant d’incertitudes plane, encore et toujours aux yeux de beaucoup de Britanniques, l’imagerie monarchique comme colonne vertébrale identitaire. Le départ du duc d’Edimbourg apparaît ainsi comme la répétition générale d’une autre et inéluctable transition. Lorsque Elisabeth II ne sera plus, que restera-t-il pour permettre au pays de se rassembler? La succession n’a rien d’évident car les générations suivantes n’ont ni l’aura de la souveraine, ni la capacité démontrée à dissimuler leurs tourments intimes, aussi légitimes soient-ils. La perspective du vide que laissera, un jour, la reine laisse présager l’extraordinaire défi qui attend le Royaume-Uni pour se trouver un nouveau point de ralliement, maintenant qu’il a choisi de ne vivre que par et pour lui-même.