Voilà longtemps qu’il n’y a plus de «ligne rouge» à franchir en Syrie. Depuis qu’elle a été énoncée par Barack Obama, en août 2012, la formule est devenue le symbole de l’incapacité américaine de peser sur le cours de l’effroyable guerre syrienne. A l’époque, le pire consistait en une hypothétique attaque chimique menée par le régime de Damas contre sa propre population. Depuis lors, cette attaque a eu lieu (plus de mille morts, une année plus tard). Et depuis lors, il y en a une des dizaines d’autres, de moindre ampleur. Puis des massacres sans nom, des villes détruites, des réfugiés par millions. Puis encore, mardi, ce nouveau carnage, cette nouvelle abomination. La ligne rouge est maintenant bien loin derrière. Devant, il n’y a plus que le néant.

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Face à ce qui s’est révélé comme une menace creuse, entonnée aussi en choeur par la France, l’entourage de Bachar el-Assad avait vite trouvé la parade: «Barack Obama s’en ira, tout comme François Hollande. Assad, lui, restera.» Ce sont les sbires du tyran qui avaient raison. Et si l’avanie de mardi – au-delà des dizaines de victimes – est aussi douloureuse, c’est qu’elle sonne comme une confirmation, comme une mise au point tellement grossière qu’elle en devient presque impensable.

Barack Obama est parti, en effet, et le départ du président Hollande est pour demain. Aujourd’hui, protégé par le confort que lui offrent l’aviation russe et les hommes de main de l’Iran, Bachar el-Assad peut se laisser aller. L’attaque chimique de Khan Shaikun, et l’alignement de ces enfants morts, étouffés dans leur sommeil? Une réponse aux Etats-Unis de Donald Trump qui, il y a quelques jours à peine, tiraient un trait officiel sur leur volonté supposée de voir la Syrie débarrassée de son dictateur. Mais – et c’est presque plus grave encore – une réponse aussi à l’Union européenne, et à une bonne partie de la planète réunies au même moment à Bruxelles, afin de discuter de «l’avenir de la Syrie», comme si son présent avait déjà été définitivement passé par pertes et profits.

Reconstruire la Syrie? L’UE entendait utiliser une éventuelle aide financière comme ultime «levier» face au régime syrien. Sans un geste, sans une «transition politique» à Damas, l’argent européen ne viendra pas, et le pays restera en ruines, voulaient clamer les Européens. Leur propre «ligne rouge», en somme.

Devant cette forfanterie européenne, Bachar el-Assad réagit de la même manière qu’il l’avait face à la menace américaine. Par l’affront. L’avenir d’une Syrie reconstruite n’intéresse pas son président, pas plus qu’il n’est intéressé par retrouver la paix avec son peuple. Voilà qui est clair. C’est le message de Khan Shaikun.

Attaque chimique ou non, l’antienne est devenue générale aujourd’hui, à Washington, à Paris ou à l’ONU: «Il faudra composer avec Bachar el-Assad, il n’y a pas d’autre option.» S’il le fallait encore, toute illusion est donc dissipée: oui, c’est bien avec cet Assad-là. Celui qui assassine sa population, celui qui a détruit son pays. Celui qui, dans leur sommeil, gaze des enfants innocents.

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