Editorial
Le processus de divorce entre Londres et Bruxelles promet de pourrir durablement non seulement les relations entre les deux parties mais également le débat sur l’avenir des Vingt-Sept

Neuf mois après un référendum qui a déjoué la plupart des pronostics, le Royaume-Uni a déclenché le processus de sortie de l’Union européenne selon le vœu exprimé par une majorité de Britanniques. 44 ans après avoir rejoint l’Europe politique, Londres s’apprête ainsi à larguer les amarres le reliant à un marché-continent, le plus important du monde. D’ici deux ans, l’île aura retrouvé ses frontières, «restauré son autodétermination nationale» comme l’a écrit la première ministre Theresa May au président du Conseil européen Donald Tusk.
Ceux qui voudraient voir dans ce divorce une chance pour l’Europe, vont rapidement déchanter. Le Royaume-Uni était sans doute un frein pour les tenants d’une Europe fédérale, davantage intégrée et plus solidaire. Mais il était aussi un acteur déterminant de la cohésion économique du marché commun, une pièce centrale des équilibres européens.
Rupture très coûteuse
Ce processus de séparation va non seulement empoisonner durablement les relations entre Londres et Bruxelles, mais aussi le débat sur l’avenir des Vingt-Sept. Le choix d’un «Brexit dur» du gouvernement conservateur britannique a peut-être le mérite de la clarté. Il va surtout forcer les Européens à négocier au plus près de leurs intérêts une rupture qui sera très coûteuse. L’UE va perdre en effet un membre qui représentait plus de 10% de son PIB et contribuait à hauteur de 14% à son budget.
Cette épreuve renforcera la détermination des Vingt-Sept à rester unis, ont entonné en chœur les responsables des 27 Etats rassemblés le week-end dernier pour célébrer le 60e anniversaire des traités de Rome. Elle pourrait tout aussi sûrement souligner un peu plus leurs divisions internes. Le Brexit – un précédent rendant possible une déconstruction de l’UE – oblige en effet à interroger plus brutalement la nature de l’Union.
L’exemple britannique nourrit le discours eurosceptique
Dans cette UE post-Brexit, Paris, Berlin et la commission européenne ont indiqué leur préférence, celle d’une plus grande flexibilité dans les étapes à venir de l’intégration. C’est l’Europe à plusieurs vitesses. Une Europe qui laisse plus de latitude à ceux qui veulent aller de l’avant vers une gouvernance renforcée sans plus passer par la règle de l’unanimité. Cette vision est loin d’être partagée par l’ensemble des Etats. Les nouveaux arrivants, de l’Est, y voient surtout la tentative de les reléguer dans une antichambre du club des pays les plus riches.
Ce débat-là sera d’autant plus compliqué à mener que les négociations avec Londres vont accaparer une grande part de l’énergie à Bruxelles. Et c’est sans compter que l’exemple britannique va continuer d’inspirer les eurosceptiques, loin d’avoir baissé les bras. On le voit, le Brexit promet de distiller durablement son poison au cœur de l’Europe.
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