Il y a trente ans, Genève était le théâtre d’un acte fort qui allait bouleverser le cours de l’histoire. Quelques années après son invention par le chercheur britannique Tim Berners-Lee, le CERN, son employeur, offrait le World Wide Web à l’humanité. Le Centre européen de recherche nucléaire entendait ainsi rester fidèle à sa mission première: la diffusion du savoir dans le monde.

Il faut bien le reconnaître, l’objectif a été atteint. Le CERN a assuré un accès universel à une innovation révolutionnaire dont la portée aurait sans aucun doute été altérée par une quelconque protection intellectuelle; l’émergence de systèmes alternatifs aurait rapidement morcelé et cloisonné les échanges numériques internationaux.

Ce choix a aussi très vite fait miroiter une myriade de possibilités commerciales qui épousaient merveilleusement bien l’expertise électronique et numérique californienne. La suite est connue: l’avènement et l’inexorable montée en puissance de Google, Amazon ou Facebook. Des empires qui ont transformé le Vieux-Continent en vassal de la Silicon Valley.

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Un cercle économique vertueux

Jeter la pierre à l’Oncle Sam en continuant à vanter son excellence scientifique et technologique ne fera guère avancer l’Europe. Car tout n’est pas qu’histoire de compétences. L’esprit d’entreprise et le légendaire pragmatisme américains – teintés d’opportunisme – ont fait toute la différence pour prendre le leadership du nouveau monde numérique.

Pendant que Bruxelles et sa nébuleuse ont misé naïvement sur un laisser-faire total, sans disposer des instruments adéquats pour fluidifier la concurrence, les Etats-Unis se sont appuyés sur une machine de guerre diablement efficace pour s’imposer: un système de financement incitatif, le capital-risque, et des chercheurs-entrepreneurs motivés à valoriser leurs innovations dans l’économie.

L’entrée en vigueur dans le courant de l’année de deux lois européennes visant à contrer l’hégémonie des GAFAM est bonne à prendre. Mais, trop tardive, elle va malheureusement peiner à inverser le cours des choses. Mieux vaut donc se concentrer sur les prochaines batailles économiques: l’informatique quantique, mais surtout la transition énergétique.

Il est rassurant de voir que la Commission européenne a pris la mesure de l’enjeu, en concoctant rapidement une réponse à l’Inflation Reduction Act états-unien, qui aspire aussi quelques-unes des meilleures idées européennes. Le risque est toutefois grand que l’initiative se transforme en monstre bureaucratique autour duquel les Vingt-Sept s’entredéchireront. Sans comprendre que l’innovation, c’est aussi une question d’attitude.

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