Un chiffre dit l’ampleur du malaise italien, incarné par la coalition entre le Mouvement 5 étoiles et la Ligue du Nord. Selon le dernier sondage Eurobaromètre, 44% des Italiens jugent que leur pays a bénéficié de l’intégration communautaire, alors que 41% pensent le contraire et que 15% restent indécis. La division de la Péninsule est redoutable. Deux Italie s’opposent. Pire: nos voisins sont, aujourd’hui, les moins satisfaits parmi les citoyens des 27 Etats membres de l’UE. En comparaison, 61% des Français restent convaincus des bienfaits de l’Union. Tout comme 75% des Allemands et des Espagnols…

Ce chiffre dit l’étroitesse du chemin qui se présente aux institutions communautaires, maintenant que l’alternance politique est finalisée à Rome. Plusieurs propositions du contrat de gouvernement que Giuseppe Conte est supposé mettre en œuvre – comme l’émission de dette utilisable par les contribuables pour payer leurs impôts – sont contraires à la lettre comme à l’esprit des traités européens, et inacceptables pour la zone euro dont l’Italie est la troisième économie. Faut-il, dès lors, signifier à Rome une fin de non-recevoir? Ou, au contraire, éviter d’enclencher les hostilités monétaires et financières, sur fond de crise bancaire toujours latente? Dix ans après la crise de 2008, la seconde option paraît de très loin la plus appropriée.

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La réalité est que beaucoup d’Italiens ne se voient plus d’avenir dans une Union de plus en plus exigeante sur la compétitivité économique, et de moins en moins capable d’apporter des réponses aux inégalités sociales et au défi migratoire. Vu de Rome, l’UE – prise de court par la défaite du réformateur Matteo Renzi et de son successeur Paolo Gentiloni – a failli sur deux fronts: elle a temporisé sur les créances douteuses des banques – laissant celles-ci propager l’illusion d’une crise révolue – et elle n’a pas su mobiliser les moyens adéquats pour soulager le pays du fardeau des migrants. Comment en sortir? Comment faire pour colmater les fissures italiennes? Une seule solution: dire la vérité et reconnaître les erreurs passées.

A la différence de la Grèce, l’Italie n’a pas sciemment laissé dérailler ses finances publiques. Ses gouvernements n’ont pas trafiqué les statistiques. Les clans politiques n’y ont pas, comme ce fut le cas dans les années 2000 à Athènes, dépecé l’Etat pour nourrir leurs prébendes. Il ne s’agit donc pas de régler des comptes. Il faut en revanche dire d’urgence aux Italiens que l’euro est mortel, que plusieurs de leurs banques demeurent en sursis, et que la Commission est, à Bruxelles, prête à examiner, sans acrimonie, toutes les propositions présentées par leur gouvernement. En insistant d’emblée sur un axiome: le volcan italien, s’il devait entrer en éruption, ensevelirait sans doute l’UE sous ses cendres europhobes. Une Union née à Rome, voici 60 ans.

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