Ce matin, un jeune quadragénaire neuchâtelois s'est sans doute réveillé avec un nœud au ventre. Pas sûr qu'il ait mal dormi d'ailleurs: Frédéric Maire est plutôt du genre zen. Mais il connaîtra, dès ce soir, son heure de vérité. Et ils seront nombreux, à Locarno jusqu'au 12 août, à lui faire entendre, chacun, la leur: les artistes, les politiques, les édiles locaux et les commentateurs, pros ou amateurs.

Un an après sa nomination à la direction du Festival de Locarno, Frédéric Maire connaît les jeux d'influence et de pressions qui peuvent plomber un événement culturel de cette ampleur. Il vient de les vivre, semaine après semaine, d'un rendez-vous à l'autre, aux quatre coins du monde. Il a senti peser sur ses propres choix la concurrence acharnée que se livrent la Mostra de Venise et le tout nouveau Festival de Rome. Il a vu s'agiter le sérail du cinéma suisse autour de la politique «populaire de qualité» défendue par Nicolas Bideau et Pascal Couchepin. Il a constaté les déchirures entre Alémaniques et Romands. Il a écouté les doléances des distributeurs suisses en froid avec le festival... Et il a construit son programme. Un beau programme de cinéma. Avec ce qu'il faut, comme dans n'importe quel festival, de choix diplomatiques, de paris sur les années à venir, de coups de cœur.

La tâche était délicate. Excitante sans doute pour qui aime les films et cherche à les transmettre depuis toujours, comme ancien journaliste et fondateur du ciné-club pour enfants La Lanterne magique.

Mais sa fonction est ingrate aussi. Depuis son arrivée, Frédéric Maire est souvent perçu avec une condescendance indigne de son intelligence: on dit qu'il a été uniquement choisi en raison de sa personnalité, plus neutre que celles de ses prédécesseurs Marco Müller et Irene Bignardi, plus apte à plaire à tout le monde. Plus manipulable, en somme.

C'est odieux. Rêvons donc qu'il en profite. Dès ce soir, sur la Piazza Grande. Drapé derrière cette bonhomie qui plaît tant à ceux qui rêvent d'en faire leur paillasson, il pourrait gagner le public à sa cause, ne parler que de cinéma. Face à ses yeux toujours pétillants, la Piazza Grande entière découvrirait l'émerveillement enfantin de la Lanterne magique. Puis, pendant dix jours, il ne serait question que de films, d'art, de culture. Le Festival de Locarno serait rendu au public, comme une période de trêve politique et industrielle.

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