Ignazio Cassis a réussi son coup. La Suisse est restée sur la carte européenne, démontrant sa capacité à réunir des délégations ministérielles et des organisations internationales autour de l’Ukraine, malgré un intérêt tout relatif des grandes capitales du Vieux-Continent. Le président de la Confédération a également marqué des points sur un plan intérieur, créant une forme d’enthousiasme helvétique relayé par l’importante délégation de parlementaires à Lugano. Même si la conférence se termine avec une déclaration d’intentions sans surprise ni impact réel, les participants ont joué le jeu, dans une mise en scène parfaitement maîtrisée. La suite est d’ores et déjà programmée, ce qui, en soi, est une victoire. Le Royaume-Uni a dit sa volonté d’organiser la prochaine Conférence sur la reconstruction de l’Ukraine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a rappelé que les bases auront été posées à Lugano.

Lire aussi: Le plan Marshall pour l’Ukraine ne devra pas oublier la reconstruction sociale

Si les réminiscences du plan Marshall sont dans bien des esprits, une autre réalité, différente de celle de 1948, existe aujourd’hui. Les individus ont acquis, grâce à la digitalisation de notre monde, une puissance inédite. Et ils l’utilisent. Mise à disposition de chambres via Airbnb, envoi d’argent liquide par le biais d’une société de crédit, récolte de fonds spontanée pour des ONG: une multitude d’initiatives personnelles ont émergé dès le début de la guerre. Sur place, certains individus rassemblent des millions à une vitesse folle et fournissent du matériel militaire directement sur le front. Hors de toute représentation institutionnelle, certains activent leurs réseaux pour livrer des équipements en Ukraine ou agir sur le terrain. Dans un autre registre non étatique, Elon Musk (dont la fortune se compte en centaines de milliards de dollars) a mis à disposition en quelques heures des satellites pour assurer l’accès à internet en Ukraine. Sans oublier les pirates informatiques du mouvement Anonymous, qui attaquent sans répit les lieux du pouvoir russe.

Nouveaux mouvements, nouvelles questions

A côté du bal des institutions se joue cette partition, nouvelle, dans les autres pièces de la maison. A la fois fantastiques et inquiétants, ces mouvements spontanés, organiques et non contrôlés amènent de nouvelles questions. Qui agit, qui décide, qui limite? Les Etats et les organisations internationales qui en émanent doivent être assez souples pour accompagner ces initiatives individuelles et suffisamment forts pour les encadrer et éviter les dérives. La Suisse a interprété avec succès le premier morceau, d’autres peuvent diriger la suite. Ainsi peut-être une version 2022 du plan Marshall prendra-t-elle forme en Ukraine, avec la société civile organisée en réseaux. Une fois que la guerre sera terminée.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.