Editorial
Vladimir Poutine possède toujours un As dans sa manche qu’il n’hésite jamais à sortir, surprenant alliés et ennemis. Au risque de contredire ses propres déclarations

Tout se passe comme si Vladimir Poutine voulait se montrer fidèle au cliché: ce champion au jeu d’échecs a toujours un coup en réserve pour déstabiliser l’adversaire. Il l’a montré en Ukraine, il l’avait déjà prouvé en Syrie, il récidive: sa proposition de retirer le gros des troupes russes du théâtre syrien a laissé tout le monde bouche bée. Ses ennemis comme ses alliés, au premier rang desquels le président syrien Bachar el-Assad; les militaires comme les diplomates, à Washington aussi bien qu’au Palais des Nations à Genève…
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Poutine, un stratège politique hors pair? Sans doute, mais aussi un sacré bricoleur, dont les montages d’aujourd’hui saccagent ceux d’hier. «Mission accomplie en Syrie», dit-il en gros pur justifier ce changement de cap surprise. Cela contredit, frontalement, ses explications premières qui insistaient sur la lutte contre le terrorisme (lire l’État islamique) comme seule raison de sa présence en Syrie. L’État islamique se porte bien, malheureusement. Mais cinq mois de bombardements russes ininterrompus en Syrie, au-delà des carnages éhontés de civils, ont permis de remettre en selle un Bachar el-Assad au plus mal l’automne dernier, et désormais requinqué par des gains territoriaux dont il ne pouvait plus même rêver.
Les coups surprises du maître du Kremlin sont d’autant plus spectaculaires qu’ils peuvent, littéralement, amener n’importe où. Ce changement de paradigme russe est-il le fruit d’un calcul savant en regard de la réalité du terrain? S’agit-il de prévenir un bourbier militaire prévisible, d’échapper à la menace d’une possible guerre plus vaste, avec l’entrée en scène de la Turquie et de l’Arabie saoudite, et avec l’apparition d’armements qui remettraient en cause l’invincibilité russe dans le ciel syrien? C’est l’une des hypothèses.
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Reste une autre possibilité: la Russie, en réalité, chercherait une porte dérobée qui garantirait le maintien de ses intérêts. Bachar el-Assad? Sacrifié, sans aucun état d’âme, tant que Moscou pourra conserver un rôle central dans la Syrie de demain et que sa présence sera acceptée par ceux qui prendront la place du régime actuel.
Toutes les options restent donc ouvertes. Et pour cause: la Russie, en Syrie, a aujourd’hui toute latitude pour jouer le coup qu’elle veut. Les Européens grognent, les Américains regardent: si Vladimir Poutine veut avancer un pion de six cases, libre à lui. S’il veut renverser l’échiquier, on ramassera les pièces par terre. Facile, dans ces conditions, d’être un maître au jeu d’échecs.
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