Il y avait chez cet homme une grandeur d’âme telle que le monde entier se sent orphelin. Une dimension séculaire, si profonde et si emblématique qu’il est l’un de ces rares héros qui sauvent l’honneur du XXe siècle. Par son combat, sa détermination, son immense courage, il aura été le libérateur des «Noirs», l’espoir et la petite flamme qui ne s’éteint pas devant l’oppression. Nous sommes tous devenus les petits-enfants de Mandela. Nous lui devons le bien le plus essentiel: l’affirmation incarnée que les hommes, quelles que soient leurs origines et leur condition, naissent libres et égaux en droits.

Un destin hors du commun, ensuite. Le jeune Mandela, l’enfant de la noblesse d’Afrique, s’oppose à la dictature de son clan. Le poing levé, l’étudiant affronte l’un des plus odieux régimes qu’ait connus ce monde, l’apartheid, qui fait des Noirs des sous-hommes. Celui dont on ne connaîtra pas le visage durant plus de vingt-sept ans menait le combat que les démocraties refusaient de mener de front, prises dans le jeu trouble des intérêts et des contradictions de la Guerre froide. Quelques mois après la chute du mur de Berlin, le 11 février 1990, à 16 heures, Nelson Mandela, l’oublié, franchit la grille de sa prison, et le monde entier assiste, stupéfait, à l’émergence d’une conscience universelle. Le plus célèbre prisonnier de la Terre rejoint le Mahatma Gandhi et Martin Luther King au Panthéon des Bienheureux et des Justes.

Mais le vrai miracle est à venir. Nelson Mandela s’engage, pour réconcilier un peuple déchiré et sauver un Etat au bord de la guerre civile. Il triomphe là où tant d’autres lui promettent l’échec. L’Afrique du Sud réussit sa transition démocratique. Il en sera le premier président noir. Alors, ce jour-là, il déclare au monde: «Jamais, plus jamais, ce beau pays ne vivra l’oppression des uns par les autres. L’humanité ne connaîtra pas plus grand accomplissement. Que règne la liberté!»

Ce serment est celui d’un homme libre et qui s’interdit toute forme de vengeance. A son dîner d’intronisation, il a convié son ancien geôlier en signe de réconciliation.

Au-delà de l’homme, de son caractère et de ses faiblesses, l’histoire qu’il personnifie par son extraordinaire charisme est admirable. «Madiba», comme il aimait à être nommé, n’a jamais renoncé, ni accepté d’abandonner les siens en échange de sa libération ou de faux compromis. Si tant de chefs d’Etat étaient là le jour de son intronisation, et seront là aussi pour lui rendre le dernier hommage, c’est qu’ils expriment, en leur for intérieur, une part de culpabilité, celle d’avoir toléré si longtemps le régime de l’apartheid et la violation crasse des libertés fondamentales.

L’ancien président Mandela a éprouvé de la honte pour son pays dans la lutte contre le sida, la pauvreté, et exprimait une impuissance triste et silencieuse devant la corruption et l’incurie de ses successeurs. Mais il nous laisse un héritage, un idéal intact, celui de l’homme libre qui, comme le roseau, plie mais ne rompt pas. Il a eu le génie d’accorder le pardon comme préalable à la reconstruction après tant de haine, de violence et d’humiliation. Son héritage est assurément universel et marque l’histoire du XXe et du XXIe siècle. Pour une fois, le Bon a eu raison des lâches.

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