Les marchands de céréales ont réussi leur grand oral
ÉDITORIAL. Il faut labourer pour retracer le parcours du blé, du maïs ou du riz jusqu’aux étalages en Suisse. Ces denrées essentielles à la vie poussent comme jamais dans l’histoire, mais les fournisseurs sont discrets. Ils ont pourtant fait face à la pandémie

C’est en regardant les statistiques céréalières qu’on se rend compte à quel point le monde a changé. Le blé, par exemple, l’aliment de base, celui vers lequel se tournent les nouvelles classes moyennes, éprises de pain, de Nairobi à La Paz: près de 770 millions de tonnes devraient être produites globalement cette année, c’est plus de 200 millions de plus qu’en l’an 2000. Ou le riz: la production mondiale a doublé en une quarantaine d’années.
Autant de défis logistiques supplémentaires pour nourrir le monde, alors que les terres arables cultivées sont très mal réparties. En Afrique, ce continent qui recensera 2 milliards d’habitants en 2050 – la barre du milliard a été franchie en 2009 –, on ne cultive quasiment rien, tout est importé. Et si le prix d’une denrée baisse, les habitudes alimentaires peuvent rapidement changer au sud du Sahara; s’il grimpe, attention aux émeutes.
En Suisse, le contexte est différent. On rêve d’autarcie, pour sauver la planète. Et, depuis cette année, être certain d’avoir tout le nécessaire. C’est possible, selon une étude de l’Agroscope, à condition qu’on consomme moins de viande. Moins de tout en fait, sauf de pommes de terre, de pain et de lait. Face à la pandémie, les chaînes d’approvisionnement ont pourtant réussi le grand oral: les Suisses n’ont manqué de rien, malgré les craintes de pénurie. En fait, les Africains non plus: l’ONU s’est longtemps inquiétée des risques de famine dans les contrées les plus démunies, mais, pour l’instant, il n’en est rien ou presque.
Qu’en conclure? Que pour l’instant, «ça tient»? Si l’on regarde les céréales importées en Suisse, elles viennent surtout de France et d’Allemagne, nos voisins. L’écrasante majorité des grains cultivés en Europe sont d’ailleurs consommés en Europe. Idem aux Amériques et en Asie. Le plus grand exportateur de blé? La Russie et ses champs proches de la mer Noire, pas si éloignée de l’Egypte, son plus grand client et le principal importateur de blé au monde. Malgré les bas prix du transport, la mondialisation tant décriée est régionalisée.
Régionalisée et opaque, qu’on soit négociant ou distributeur, comme Migros. D’où viennent les farines paysannes du groupe orange? Et ses galettes de maïs, ses Blévita, ses spaghettis M-Budget? A quel point leur acheminement s’est-il compliqué durant les mois de confinement? Pour le savoir, il a fallu remuer ciel et terre.
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