Editorial
ÉDITORIAL. La pandémie avait pu laisser présager un relâchement. Mais entre avancées majeures et retour de bâton d’une rare violence, les femmes battront le pavé lors de la grève féministe ce 14 juin, remobilisées par le contexte

«N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.» Les mots de Simone de Beauvoir résonnent au milieu des tambours en ce jour de grève féministe, marronnier qui fleurira violet tous les 14 juin en Suisse jusqu’à ce qu’égalité s’ensuive. En ce début de XXIe siècle, nous sommes des funambules sur le fil de l’Histoire. La mobilisation offre une occasion de mesurer à la fois le chemin parcouru et l’abysse sous nos pieds.
La «vigilance» chère à la philosophe, c’est d’abord se souvenir d’où l’on vient, pour ne pas repartir à chaque fois de zéro. C’est construire la mémoire historique de ces luttes, pour les envisager dans leur continuité. C’est aussi choisir et gagner des batailles. Des avancées indéniables ont été accomplies, de la féminisation historique de nombreuses institutions aux premiers mariages pour toutes et tous célébrés cet été, en passant par le congé paternité. Consentement, féminicide, insultes sexistes dans la rue: ce qui était jugé hier anecdotique est désormais analysé comme fait de société, et ce passage de l’individuel au collectif constitue en soi une révolution dont on ne mesure pas encore la portée.
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Mais la vigilance passe aussi par la lucidité. Tentez de chasser le patriarcat, il revient au galop – et plutôt avec la cavalerie. Les débats du monde d’avant (et même d’avant ça) ont ainsi été réchauffés ad nauseam. Pour n’en citer que quelques-uns, l’accès à l’avortement, débattu là où on le croyait «acquis», ou l’émergence d’un antiféminisme à faire frémir Margaret Atwood.
Dans une tout autre proportion, la multiplication des courants au sein même des mouvements féministes a parfois engendré burn-out militants et malaise viscéral. La vigilance, c’est aussi ne pas laisser l’exigence se transformer en intransigeance, voire en violence contre son propre camp. Certaines divergences offrent l’occasion de questionner sa propre perspective et de grandir ensemble. D’autres sont un luxe, et il ne faut pas se tromper d’ennemi. Ici, ce ne sont ni l’écriture inclusive, ni les méandres d’un champ lexical du genre qui peuvent laisser perplexe.
Voilà peut-être la seule ouverture qu’offre en 2022 ce retour de bâton: il y a les coups qui abattent, et ceux qui galvanisent. Au-delà de nos appréciations individuelles, aussi riches soient-elles, ne perdons pas l’objectif de vue.
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