Ne tirez pas sur les scientifiques
ÉDITORIAL. Sur la pandémie comme sur d’autres sujets, les experts nous disent parfois des choses que nous n’avons pas envie d’entendre. La tentation existe de ne pas les écouter. Mais on ne peut pas faire fi de la réalité

«Personne n’aime le messager porteur de mauvaises nouvelles», écrivait déjà Sophocle dans Antigone. Les membres de la task force scientifique suisse en font aujourd’hui l’amère expérience. Au cours de cette année de pandémie, ils ont été régulièrement amenés à relayer des informations inquiétantes sur le virus et ses possibles conséquences; certains leur reprochent désormais de trop s’exprimer et de se montrer pessimistes.
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Ce jeudi 4 mars, le parlement va se prononcer sur un amendement déroutant qui exige que le Conseil fédéral et le parlement soient les seuls organismes à pouvoir informer la population sur la pandémie. Une demande qui n’a, semble-t-il, que peu de chances d’aboutir. Mais elle est inquiétante dans ce qu’elle dit du rapport de certains responsables politiques à la science.
«On ne peut pas faire fi de la réalité»
Pourquoi vouloir faire taire les scientifiques? Parce que, parfois, ils nous disent des choses que nous n’avons pas envie d’entendre. C’est vrai dans la pandémie actuelle, avec son cortège de variants mutants, comme sur d’autres sujets comme la lutte contre le réchauffement climatique, qui exige des réformes en profondeur de l’économie et de la société.
Mais on ne peut pas faire fi de la réalité, la tordre pour qu’elle corresponde à nos désirs. C’est perdu d’avance, et inconscient quand on prétend gouverner. Autant demander à MétéoSuisse de n’annoncer que les jours de beau temps. Un autre amendement émanant de la Commission économique du Conseil national demande que la date de réouverture des restaurants soit inscrite dans la loi, donc sans tenir compte de l’évolution de la pandémie. Faire plier le virus par un texte législatif? Ce serait amusant si ce n’était pas dangereux…
La méthode scientifique a ses limites, que personne ne conteste. Les modèles de simulation des épidémies ne livrent que des scenarii, ce ne sont pas des prévisions. Les experts ne sont pas toujours d’accord entre eux et leurs points de friction sont parfois difficiles à comprendre. Mais la science reste seule apte à fournir une appréciation sur une situation fondée sur des faits et non sur des opinions. En cela, elle est indispensable dans toute société démocratique.
Qu’on le veuille ou non, le coronavirus est là et il nous faut l’affronter. Refuser d’entendre le message des scientifiques, c’est mener une politique de l’autruche qui n’est pas compatible avec l’action publique. En temps de pandémie, la science est plus précieuse que jamais. Le rôle des politiques devrait être de la protéger plutôt que de tenter de la discréditer.
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