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La neutralité des braves

ÉDITORIAL. En affirmant que la Suisse se place «du côté de l’humanité et contre la barbarie», Ignazio Cassis affirme une conception courageuse de la neutralité. Christoph Blocher veut le combattre

Le président de la Confédération, Ignazio Cassis, à Sierre,  13 mars 2022. — © Laurent Gillieron/Keystone
Le président de la Confédération, Ignazio Cassis, à Sierre,  13 mars 2022. — © Laurent Gillieron/Keystone

Alors que la guerre frappe en Europe, il est beaucoup question d’histoire et de ses leçons. Au cœur du continent, la Suisse ne saurait être épargnée, sa neutralité est une nouvelle fois interpellée. En décidant de se joindre aux sanctions européennes frappant la Russie, le Conseil fédéral a fait un choix qui n’allait pas de soi au vu de sa tradition. Un choix qui, la veille encore, semblait impensable aux yeux de beaucoup de Suisses. Il s’agit d’un tournant.

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Neutralité active contre neutralité stricte

Cette volonté politique, cette lecture stratégique sont suffisamment rares en Suisse pour en souligner le mérite. En décidant à l’unanimité de donner un message fort et clair, au nom de nos valeurs, le Conseil fédéral a remporté l’adhésion d’une large majorité des partis politiques, des cantons et de la population. Ignazio Cassis s’en est justifié à l’occasion de la journée de solidarité avec l’Ukraine en des termes inhabituels pour un président de la Confédération, en affirmant que la Suisse était «du côté de l’humanité et contre la barbarie», abandonnant toute précaution de langage. Il précise qu’agir ainsi est «en accord avec notre neutralité».

Cette neutralité active, saluée en Ukraine et dans de nombreuses capitales, ne manquera pas d’être questionnée alors que les effets de cette crise se feront ressentir dans notre quotidien. Christoph Blocher a déjà annoncé qu’il songeait à lancer une initiative pour inscrire dans la Constitution une définition «stricte» de la neutralité. Selon le leader de l’UDC, la neutralité intégrale est incompatible avec l’application de sanctions. Cette conception n’est pas absurde, la Suisse l’a souvent pratiquée, en particulier durant la Deuxième Guerre mondiale. Il est certain de trouver un écho dans les milieux favorables à une souveraineté la plus absolue qui soit. Des milieux qui étaient ces dernières années, à vrai dire, majoritaires en Suisse.

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Une légitimité qui n’est pas entamée

Le débat sur la neutralité, sur notre alignement avec l’Union européenne, sur notre capacité à mener de bons offices est donc loin d’être clos. Sur ce dernier point, il est clair que Berne a pris un risque. Mais il est probable que, le moment venu, la Suisse restera attractive pour parler de paix. Sa légitimité n’est pas entamée. Ce week-end, des missiles russes se sont abattus à quelques kilomètres des frontières de l’UE et de l’OTAN. Le scénario d’un embrasement plus général ne peut plus être écarté. Dans ces circonstances dramatiques, la Suisse a tiré les bonnes leçons de son histoire. Et fait un choix courageux.