Le silence s’installe. S’il devient insoutenable, alors qu’il leur incombait déjà à elles de s’adapter, c’est encore à elles qu’échoit la charge de frapper à une porte pour en parler, sans l’assurance d’être comprises. A elles, parfois, d’aller convaincre de potentiels témoins. Puis, c’est encore à elles que revient le fardeau de la preuve. Et de soigner tant bien que mal les fêlures physiques, psychiques, relationnelles, que le harcèlement laisse dans son sillage.
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Un autre mutisme
Mais leur silence n’est-il pas la conséquence d’un autre mutisme, bien plus important? Et partagé par tous. Parce qu’il est bien plus simple de ne pas voir, de ne pas remettre en question l’ordre établi. De contempler les vagues pourtant immenses qu’a déclenchées #MeToo en spectateur. De vivre dans un monde binaire où il reste des «métiers d’hommes» dans lesquels les femmes doivent faire leur place. De rire aux blagues de ce collègue «un peu lourd mais si gentil». Plus facile que de dire que l’on n’est pas d’accord avec lui, ou même avec son supérieur.
Depuis deux ans et la «libération de la parole», un continent de silence se fissure, et celles et ceux qui parlaient déjà trouvent enfin une oreille attentive. Mais aux seules victimes ne doit pas revenir la responsabilité de changer le monde. De quel système sommes-nous, tous, complices, en fermant les yeux sur ce qu’il nous arrange de ne pas relever? En minimisant les voix qui s’élèvent? Car toutes les femmes qui témoignent dans nos pages aujourd’hui avaient déjà parlé. Dans le vide.