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Payer pour vendre, nouvelle logique économique

ÉDITORIAL. Ces dernières années, les taux négatifs nous avaient habitués à l’idée de payer pour prêter. Depuis lundi, le pétrole nous a appris qu’on pouvait aussi devoir payer pour vendre. En apparence illogique, le plongeon en dessous de zéro effectué par le brut indique pourtant que les marchés fonctionnent

Depuis que le virus a éteint les réacteurs des avions et remisé les SUV dans les garages, le monde consomme 30% de pétrole en moins. Les producteurs peinent à encaisser le choc. — © Mario Tama/AFP
Depuis que le virus a éteint les réacteurs des avions et remisé les SUV dans les garages, le monde consomme 30% de pétrole en moins. Les producteurs peinent à encaisser le choc. — © Mario Tama/AFP

Moins que rien. Lundi, le prix de la première source d’énergie du monde est entré en territoire négatif. Les négociants et producteurs devaient payer les autres intervenants du marché pour qu’ils acceptent de se faire livrer un baril d’huile noirâtre le mois prochain. Un exercice qui leur rapportait plus de 100 dollars en 2014 leur coûte donc 30 dollars en 2020.

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Ces dernières années, les taux négatifs nous avaient habitués à l’idée de payer pour prêter. Depuis lundi, le pétrole nous a appris qu’on pouvait aussi devoir payer pour vendre. La preuve que les traders marchent sur la tête? Au contraire. Ce plongeon en dessous de zéro indique que les marchés fonctionnent. Il reflète les trois cercles infernaux traversés ces dernières semaines par ce que l’on ne peut plus appeler «l’or noir».

Dégradation gravissime du marché

D’abord, le recul de la demande. Depuis que le virus a éteint les réacteurs des avions et remisé les SUV dans les garages, le monde consomme 30% de pétrole en moins. Ce coup d’arrêt est survenu après un hiver particulièrement doux durant lequel les besoins en chauffage ont été plus faibles que d’habitude. Début avril, l’Agence internationale de l’énergie a calculé que la planète consommait aujourd’hui autant de pétrole qu’en 1995 – quand nous étions 2 milliards de moins sur Terre.

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L’offre a dépassé la demande, la valeur du brut a donc baissé. Habituellement, les producteurs resserrent ensemble les robinets pour ajuster les quantités et adapter les prix. Mais, début mars, ils n’ont pas réussi à s’entendre. Pire, l’Arabie saoudite a choisi d’inonder le marché pour noyer ses concurrents, notamment américains.

Vu la gravissime dégradation de la situation, mi-avril, un «super-accord pour tout le monde» (tweet de Donald Trump) a été trouvé. Accord qui voyait tous les acteurs baisser leur production de 10%. Mais, dans un monde qui consomme 30% de pétrole en moins, c’était trop peu. Et surtout trop tard. Sur terre comme sur mer, les stocks débordaient déjà.

La goutte qui fait déborder le baril

Il suffisait donc d’une goutte pour faire déborder le baril. Elle est survenue lundi soir, date à laquelle les contrats de livraison de pétrole de mai arrivaient à terme. C’est comme le jeu des chaises musicales: les acheteurs qui se retrouvaient avec des contrats dans les mains se voyaient forcés d’accepter les barils en mai sans savoir où les caser. Tout le monde a voulu vendre, au point de se mettre à payer pour cela.

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Une suroffre ponctuelle? Appelée à durer? Bonne ou mauvaise pour les investissements dans les énergies renouvelables? Y aura-t-il un impact sur le prix de notre essence? Cette situation ubuesque pose davantage de questions qu’elle ne fournit de réponses.

Seule certitude: un phénomène qui paraissait hier totalement contre-intuitif – être payé pour acheter quelque chose – peut exister aujourd’hui en toute logique.