De la pertinence d’une Europe de la défense
Editorial
Allemands et Américains ont annoncé officiellement mercredi qu’ils allaient livrer leurs chars respectifs Leopard 2 et Abrams à Kiev. Face à une possible offensive de printemps des forces russes, cet apport pourrait être déterminant

Le psychodrame des chars qui a malmené l’Allemagne ces derniers jours a trouvé une issue favorable mercredi. Il aura fallu que Washington accepte de livrer une trentaine de chars Abrams à l’Ukraine pour que Berlin se sente suffisamment à l’aise pour autoriser la livraison de ses Leopard aux Ukrainiens. L’Allemagne et plusieurs Etats européens vont pouvoir acheminer ces armes lourdes à Kiev.
C’est un tournant dans la guerre qui secoue le continent depuis bientôt une année, et un apport stratégique majeur pour Kiev. Cela atteste, estime l’ex-première ministre Ioulia Timochenko, de la conviction occidentale de la capacité ukrainienne à gagner la guerre – même si les forces russes lancent une offensive ce printemps.
Lire aussi: Clap de fin dans l’affaire des chars de combat Leopard
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, sauve la face et sans doute sa coalition. L’épisode de la réunion de Ramstein, la semaine dernière, interroge toutefois sur le danger d’une approche purement nationale de la sécurité de l’Europe. Les tergiversations allemandes, accentuées par le peu d’empressement français, ont bloqué à un moment critique une montée en puissance du dispositif occidental. Mais l’unité de l’Occident est sauve. Elle est à la hauteur de l’impérative nécessité de soutenir un pays agressé et dévasté par la Russie de Poutine, dont la brutalité n’a rien à envier à celle d’Ivan le Terrible ou Alexandre Nevski.
Le commentaire du «Temps»: Berlin n’assume pas le tournant opéré avec l’Ukraine
La crainte de l’escalade
Si l’Allemagne de Scholz a eu autant de peine à se décider, c’est parce qu’elle est habitée par plusieurs peurs: peur de contribuer à une escalade incontrôlable du conflit ukrainien, peur de rompre définitivement avec un ex-partenaire commercial, la Russie, peur de franchir le Rubicon pour devenir l’armée la plus puissante de l’UE, peur de sa propre histoire et enfin peur de changer d’ère. L’indécision de Ramstein doit toutefois pousser Bruxelles à repenser le futur du continent. Echec à répétition, le projet d’une Europe de la défense, dont rêve encore Emmanuel Macron, serait d’une extrême pertinence aujourd’hui.
Lire aussi: Ioulia Timochenko: «Il n’y a pas de demi-victoire. L’Ukraine doit reprendre la Crimée»
La hausse massive des budgets militaires allemand et français ne susciterait pas d’arrière-pensées à Paris et à Berlin, ni au sein de l’UE si elle s’inscrivait dans le cadre d’une défense commune. Dans une telle Union de la défense qui ne devrait en aucun cas se substituer à une Europe politique, l’Allemagne ne craindrait plus d’assumer une responsabilité nouvelle. Et surtout, le fossé qui s’est creusé depuis le 24 février entre l’Europe orientale – Baltes et Polonais en tête – et l’Europe occidentale serait en partie comblé. Y aura-t-il un jour la volonté politique d’y parvenir? Ce pourrait être une réponse adaptée, une fois la guerre terminée, au risque que poserait ce que l’ex-chef de la diplomatie allemande Joschka Fischer décrit comme le «trou noir géopolitique» de la Russie de Poutine.
Lire aussi: Ioulia Timochenko: «Il n’y a pas de demi-victoire. L’Ukraine doit reprendre la Crimée»
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.
Vos contributions
connexion créer un compte gratuit
Suivez toute l'actualité du Temps sur les réseaux sociaux