«Frontaliers, dehors!» A force de matraquage publicitaire, la vindicte populiste à l’égard de ceux qui n’habitent pas du bon côté de la frontière semble porter ses fruits. A entendre les principaux intéressés, qu’ils soient Français ou Suisses d’ailleurs, il ne fait pas bon vivre à Gaillard ou Annemasse quand on recherche aujourd’hui un emploi du côté de Genève.

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Les témoignages de frontaliers ne se sentant plus les bienvenus en terre genevoise se multiplient. Dans le meilleur des cas, expliquent-ils, on ne répond pas à leur candidature, bien qu’elle corresponde en tout point au profil recherché; dans le pire, on leur fait comprendre qu’une adresse française sur un CV fait désormais office de critère rédhibitoire. Et qu’il vaudrait mieux déménager ou ne plus frapper à la porte.

Les railleries dont sont la cible les «74» et les «01» dans la cité de la mère Royaume ne datent pas d’hier. Elles remontent à bien avant l’accession d’un élu MCG à la tête du Département de l’emploi. Reste qu’à y regarder de plus près, elles n’ont pas lieu d’être. En tout cas pas d’un point de vue purement économique.

De près de 16 000 en 2006, le nombre de demandeurs d’emploi dans le canton est passé à moins de 13 000 aujourd’hui. Pareil pour le taux de chômage, qui était encore de 6,9% de la population active début 2010, contre 5,5% fin septembre 2016. Et cela alors même que le nombre de frontaliers actifs – 83 139 fin juillet – n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui.

Bien sûr, un chômeur inscrit reste un chômeur de trop. D’ailleurs, aucune voix ou presque ne s’élève aujourd’hui contre le principe même de la directive pour la préférence cantonale. Après tout, permettre aux chômeurs d’accéder avant tout le monde aux offres d’emploi de l’Etat et des institutions qu’il subventionne semble devoir découler du bon sens.

Le problème, c’est que la directive et son application contribuent à créer une atmosphère de défiance à l’égard d’une frange de la population – celle du Grand Genève, comme on ose encore l’appeler – qui participe activement à la santé économique du canton. Et donc au bien-être local. Une étude universitaire publiée la semaine dernière rappelait ainsi que les travailleurs venant de Haute-Savoie et de l’Ain contribuent pour presque 20% au PIB genevois.

Il y a pire encore. Cette atmosphère est d’autant plus nauséabonde qu’elle semble devoir s’immiscer toujours davantage, par un effet d’autocensure, dans un secteur privé où elle n’a pourtant pas sa place. Quand on pense que certains jouent la surenchère en prônant la préférence nationale, on peut craindre pour l’équilibre d’un canton qui compte aujourd’hui bien plus d’emplois que d’habitants.

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