Porto Rico, l'île (dés)enchantée
Editorial
ÉDITORIAL. Dette abyssale, rapports complexes avec les Etats-Unis, envies d'indépendance: comment vit-on à Porto Rico? Le Temps ramène une série de reportages en tentant de percer ce qui fait l'identité portoricaine

Un président américain, Donald Trump, qui s’amuse à jeter des rouleaux de papiers-toilette à des Portoricains victimes d’un ouragan, un sourire satisfait aux lèvres, comme s’il était en plein match de basket. S’il fallait une seule image pour résumer les liens complexes, et souvent méconnus, entre Porto Rico et les Etats-Unis, ce serait celle-là.
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Soleil, plages, piña colada, bomba, plena et reggaeton? Bien sûr, l’île des Caraïbes regorge de beautés et ses habitants affichent le sourire comme carte de visite. Mais derrière ce vernis, des plaies peinent à cicatriser. Les Portoricains ont beau être des citoyens américains, ils sont des Américains de seconde zone. Oubliés, dénigrés, marginalisés. L’ouragan Maria qui a dévasté l’île en automne 2017, et l’épisode, choquant, du papier-toilette, l’a rappelé de façon criante.
Comment en est-on arrivé là? L’île a depuis 1952 un statut particulier, celui d’«Etat libre associé». Sur le continent, les Portoricains ont les mêmes droits que les Américains, mais pas sur l’île: ils ne peuvent pas par exemple participer à l’élection présidentielle. Surtout, l’île est asphyxiée par une dette colossale. Dès 1996, Bill Clinton réduit progressivement les exemptions fiscales. Porto Rico voit alors des entreprises partir et s’enfonce dans une crise profonde. Les perspectives d’emploi sont misérables, du coup l’île se vide de ses habitants. Pendant que les départs s’enchaînent et que l’aide à la reconstruction après Maria n’arrive qu’au compte-gouttes, de riches Américains et investisseurs de cryptomonnaie, encouragés par des privilèges fiscaux, lorgnent l’île et construisent de luxueuses propriétés, en accentuant le phénomène de gentrification. Porto Rico est une terre de paradoxes et de contradictions.
Le premier chapitre de notre reportage: Porto Rico, un air de colonie
Comment espérer un avenir un peu moins noir? Une petite frange de Portoricains rêve d’indépendance et de se libérer du joug américain. Une autre milite au contraire pour que Porto Rico devienne le 51e Etat américain, avec l’espoir, illusoire, de voir tous les problèmes s’envoler. Mais la majorité se contente du statu quo, malgré les frustrations et le sentiment de vivre dans une colonie des Etats-Unis, consciente qu’avoir le passeport américain a finalement ses avantages. En clair: Porto Rico est dans une impasse. Et les Etats-Unis, Donald Trump en tête, ne cherchent pas vraiment à sauver l’île, qui ne possède pas de ressources naturelles intéressantes. Les Américains ont créé un monstre dont ils ne savent plus comment se débarrasser, résume cyniquement un ex-prisonnier politique rencontré à San Juan.
Entre Porto Rico et les Etats-Unis, c’est un peu l’histoire du syndrome de Stockholm en version XXL. Une histoire souvent ignorée que nous avons choisi de vous raconter tout au long de la semaine.
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