Editorial
De mesure discriminatoire, la préférence cantonale devient mesure pragmatique, tout en conservant un fort potentiel de capital politique

Longtemps, elle ne fut qu’un vilain mot. La préférence cantonale, c’était bon pour les stratèges du Mouvement citoyens genevois s’essayant à l’écopopulisme. Et puis elle a changé de nom, devenant priorité à l’embauche des résidents pour faire dans la correction politique, et puis elle a plu ailleurs qu’au bout du Lac – l’initiative du 9 février était passée par là. Du coup, elle est devenue présentable. De mesure discriminatoire, elle devenait mesure pragmatique et ne faisait plus tousser personne. Tout en conservant un fort potentiel de capital politique.
Mais si on gratte un peu, on s’aperçoit qu’il ne lui reste, une fois les oripeaux tombés, que ce dernier. Car la préférence cantonale ne résiste pas à l’épreuve des chiffres. Certes, elle ne touche que les postes à pourvoir à l’Etat et dans ses entités subventionnées. Car fort heureusement, l’économie genevoise n’est pas encore planifiée. Mais on a beau faire, ausculter les chiffres avec des lunettes roses, forcer les courbes, vitaminer les pourcentages, on constate qu’elle n’a pas inversé la courbe du chômage à Genève.
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Alors? Alors c’est une preuve de plus que l’interventionnisme ne marche pas. Le protectionnisme à l’emploi est tout aussi contre-productif que le protectionnisme aux frontières, revenu à la mode depuis que sévit une haine revigorée de la mondialisation. Qu’il rassure un grand nombre, sans doute; qu’il serve des arguments électoraux, certainement; mais il n’aide en rien. Au mieux, il redonne confiance aux travailleurs locaux, au pire, il empêche la création d’emplois, car l’économie s’accommode mal des injonctions.
Même si Genève affiche un taux de chômage plus élevé qu’ailleurs en Suisse, son marché est dynamique et les entreprises ne rechignent pas à y investir. Quoi qu’on dise, les cas de dumping salarial ne sont pas répandus dans la République au point de devoir chasser toute concurrence étrangère. Quoi qu’on s’imagine, les patrons genevois ne nourrissent pas à l’égard des Français ou des Vaudois une adoration fanatique. Le problème qui prévaut, c’est que dans plusieurs secteurs d’activité, il n’y a pas adéquation entre l’offre et la demande. Bien des économistes l’ont étudié. Mais c’est un argument qui, politiquement parlant, n’est pas très vendeur.
Pourtant, c’est probablement celui qui prévaut. Si les entreprises genevoises, demain, allaient toutes se plonger dans les dossiers de l’Office cantonal de l’emploi, le taux de chômage ne baisserait pas drastiquement pour autant. Plutôt que de crier à l’irresponsabilité des employeurs, préférons une politique proactive en augmentant l’efficacité des services qui s’occupent des chômeurs et en renforçant leur formation. Parce que le talent convainc plus sûrement que l’astreinte. Et parce que préférence et protectionnisme restent de vilains mots.
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