C’est un coup de balai, un coup de jeune, un coup politique. Livrer la Rade du XXIe siècle aux coups de crayon d’architectes inspirés, c’est l’assurance de parler au plus grand nombre. Guillaume Barazzone, maire de la Ville de Genève, l’avait promis, et voici. Mardi, devant les flots frémissant sous la bise, il a dévoilé les projets lauréats du concours international d’idées d’aménagement de la Rade. Trois projets sobres, heureux et harmonieux, en phase avec les contraintes d’un patrimoine d’exception, carte postale de la Genève touristique, carte de Tendre du lac, du Rhône et de la cité.

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Cependant, la lucidité impose de constater qu’un concours d’idées, ça ne mange pas de pain. Il n’oblige pas la Ville à réaliser le projet; il donne à rêver sans se préoccuper du financement; il ne pourra se concrétiser que si le canton entre dans la danse. Ce dernier point est peut-être le plus délicat. Si aujourd’hui l’entente prévaut – le jury étant composé aussi de responsables cantonaux – on ne peut oublier qu’à Genève, les querelles politiques minent souvent la relation entre autorités communales et cantonale. Le domaine de la culture en sait quelque chose.

Et puis il y a les ratés et les embrouilles. Comme la traversée de la rade, qui nourrit la politique genevoise et les urnes depuis des décennies sans résultat manifeste. Si les deux dossiers ne sont pas comparables, ils tournent autour du même objet. Ou, dans un autre registre, l’échec cuisant du Geneva Lake Festival, obligé de rétrécir après un déficit record. Si le maire refuse de voir un lien quelconque entre ce concours d’aménagement et les Fêtes de Genève, le citoyen, lui, en fera probablement un: la Rade, adulée ou honnie, a souvent aiguisé les conflits et épuisé bien des volontés.

Pourtant, on se prend à rêver en regardant les images de ces esquisses lacustres. Et si, pour une fois, la voie était libre? Et si la conjonction des astres était propice à l’avènement d’un projet fédérateur, sublimant les querelles d’ego et aplanissant les difficultés financières? Après des années de torpeur, la Rade, encombrée de chantiers, de bateaux et de baraques, a besoin de clarté et de cohérence. Elle est à la fois la vitrine de Genève pour l’étranger et son âme pour le résident. Elle parle aux yeux des esthètes, aux jambes des sportifs, aux bouées des enfants, à la mémoire littéraire, de Rousseau à Guy de Pourtalès. Elle est née au XIXe siècle, et si ce siècle-là n’avait pas su construire dans l’audace, Genève serait restée un bourg sans importance. Cent ans plus tard, il est grand temps.

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