editorial
Pékin dénonce un cirque dans la remise du Nobel de la Paix à Liu Xiaobo. Les responsables du choix ont apporté la réponse la plus pertinente que l’on pouvait imaginer. L’anomalie, ce n’est pas le dissident chinois, mais la survivance d’un régime autoritaire à la tête de la deuxième puissance économique mondiale
Il est des symboles et des paroles qui ont le pouvoir de changer le cours de l’Histoire. Et le Prix Nobel de la paix décerné cette année à l’intellectuel chinois Liu Xiaobo est peut-être de cette nature. Un intellectuel emprisonné pour avoir défendu des droits pourtant inscrits dans la Constitution, c’est gênant. La remise de son prix à une chaise vide, cela devient très embarrassant. Il devient du jour au lendemain une icône internationale. Le camouflet pour Pékin, et son «soft power», était intolérable. Ne pouvant minimiser l’affaire par le silence, le parti unique a choisi de déclarer la guerre aux sages d’Oslo. Sa riposte a été la division et le mépris. Pékin a d’abord expliqué que ce Prix Nobel était le dernier avatar d’une mentalité de guerre froide, le relent d’un impérialisme occidental sur le déclin. Puis conclut que les participants à cette cérémonie étaient de simples clowns.
Face à cette pression, la tâche du comité Nobel était délicate. Comment ne pas tomber dans le piège de la «guerre des civilisations» tendu par Pékin? Comment faire comprendre que ce prix n’était pas contre la Chine, mais pour les Chinois qui défendent leurs droits civiques? Là aussi, la réponse est venue en deux temps. Thorbjörn Jagland, le président du comité Nobel norvégien, a produit un discours – qui fera sans doute date – expliquant pourquoi les défenseurs des droits de l’homme en Chine ne sont pas des «dissidents» mais les représentants «des principales lignes du développement du monde actuel». L’anomalie, ce n’est pas Liu Xiaobo. C’est la survivance d’un régime autoritaire à la tête de la deuxième puissance économique mondiale. La seconde réponse du comité a été la lecture de l’ultime plaidoyer de Liu Xiaobo devant ses juges qui allaient le condamner à 11 ans de prison. Intitulé «Je n’ai pas d’ennemis», le texte est un message d’amour à sa femme et… à ses geôliers. Quand Thorbjörn Jagland a déclaré «Liu Xiaobo n’a rien fait de mal, il doit être libéré!», l’auditoire du Nobel, corps diplomatique inclus, s’est levé comme un seul homme pour applaudir. Cela n’avait rien d’un cirque. Mais on peut douter que le message sera entendu.
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