Le rêve anglais d’une Europe divisée
Inquiétude face à une zone euro fragilisée, pari politique des conservateurs, porte-voix d’une Europe minimaliste, le référendum britannique pourrait pousser l’Union européenne à se réformer. S’il ne propulse pas le Royaume-Uni dans les marges d’un continent qui n’en continuera pas moins sa marche en avant

A propos de la relation des Britanniques à l'Europe, on pourrait reprendre la boutade prêtée par Gorbatchev à Mitterand à la veille de la réunification allemande : « la France aime tellement l'Allemagne qu'elle préfère en avoir deux ». Tout comme Paris voyait d'un mauvais œil un renforcement de l'Allemagne par la fusion de ses deux parties jusque-là divisées par l'Histoire, Londres ne veut pas entendre parler d'une Europe qui avance à marche forcée vers plus d'intégration. La frontière qui divise l'Europe aujourd'hui n'est pas un mur, mais une monnaie : l'euro. Et pour Londres, il s'agit désormais d'acter dans les traités la réalité d'une Union à plusieurs vitesses, celle de l'euro et celle sans euro.
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Cette résistance britannique n'est pas nouvelle. Depuis son adhésion à la CEE, en 1973, Londres s'est fait le champion d'une Europe minimaliste fondée sur un marché unique et, si possible, rien de plus. Cette vision, au gré de l'élargissement, est restée minoritaire face au couple franco-allemand porteur de valeurs ancrées dans ce qu'on appelait un temps le capitalisme rhénan, un modèle plus soucieux des dimensions politiques et sociales de la construction d'un espace commun.
Si le Royaume-Uni a décidé de questionner une nouvelle fois son appartenance à cet ensemble, c'est d'abord le fruit d'un pari politique de son premier ministre conservateur pour se maintenir au pouvoir. Cameron a gagné la première manche en se faisant triomphalement réélire tout en marginalisant les europhobes du UKIP. Ce faisant, il a ouvert une boîte de pandore. Aujourd'hui, il doit mener campagne pour maintenir son pays dans une UE qu'il veut réformer. Mais, dans cette Europe qui enchaîne les crises – financière, économique, migratoire – le scénario d'un Brexit pourrait lui sauter à la figure, propulsant le Royaume-Uni dans les marges d'un continent qui n'en continuera pas moins sa marche en avant.
La campagne pour le référendum britannique a toutefois le mérite de poser la question de quelle Europe veulent désormais les grands Etats. Mais qu'on ne s'y trompe pas : si certains pays sont prêts à suivre Londres sur le volet économique, la marge de manœuvre est quasi nulle sur les principes fondateurs de l'Union, à commencer par celui de la libre circulation des biens et des personnes. Les Anglais peuvent rêver d'une Europe divisée pour mieux préserver leurs intérêts. La réalité est qu'à chaque défi existentiel, ses membres optent pour plus d'intégration.