A Riyad, le fait du prince
Editorial
EDITORIAL. L’Arabie saoudite a besoin d’une réforme radicale. Mais la manière choisie par le prince héritier suscite des inquiétudes

Il y a le fond, puis il y a la forme. Sur le principe, le sort des dizaines de dignitaires saoudiens qui ont passé les derniers mois retenus dans un grand palace de Riyad n’a suscité que de très lointaines sympathies, voire un haussement d’épaules vaguement amusé. Qui pour défendre quelques-unes des plus grosses fortunes d’Arabie saoudite, pour s’offusquer de cette ribambelle de princes et d'hommes d’affaires pris au piège sous les lambris, soudainement sommés de vider en partie leurs poches bien pleines? Pour une majorité de Saoudiens, en particulier la jeunesse, l’affaire est entendue: elle applaudit des deux mains son fougueux prince héritier, ce «MBS» (pour Mohammed ben Salmane) qui s’en prend frontalement aux corrompus tandis que, dans le même mouvement, il modernise les mœurs, accorde le droit de conduire aux femmes du royaume et leur ouvre, enfin, les salles de concert.
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Menacée par la fin de l’ère du tout pétrole, pratiquement à bout de souffle depuis des années, l’Arabie saoudite ne peut sans doute éluder la nécessité d’une réforme radicale, au risque autrement, pour la maison royale, de se voir tout bonnement emportée. Faut-il, cependant, gâcher la fête en évoquant les manières adoptées par le nouvel homme fort saoudien? Ne s’embarrassant d’aucune règle de droit, Ben Salmane a agi contre ces puissants comme il avait traité, lors de rafles précédentes, les potentiels opposants politiques ou certains responsables religieux qui lui barraient la route.
En l’absence d’une liste claire des suspects, faute d’accusations rendues publiques, cette purge anti-corruption prend des allures de conclusion d’une vaste épuration, dont le caractère arbitraire semble servir avant tout à asseoir le pouvoir du nouveau venu. Pour preuve, la présence, parmi ces personnalités, d’individus connus pour représenter des branches rivales de la maison royale – et très critiques envers le pouvoir actuel. Particulièrement en ligne de mire: l’héritage de l’ancien roi Abdallah, resté très populaire en Arabie saoudite.
Il y a peu, un Donald Trump triomphant exhibait à Riyad la promesse de 110 milliards de dollars de contrats d’armement. Un épisode visant à démontrer l’amitié retrouvée entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis mais qui semblait surtout prouver que, «MBS» ou non, les manières locales de s’assurer des loyautés n’avaient pour l’heure pas beaucoup changé.
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Mohammed ben Salmane, jusqu’ici, est avant tout l’homme qui a déclenché une guerre meurtrière au Yémen, qui a mis le Qatar en quarantaine et qui a dangereusement durci le ton contre l’Iran. A l’interne, s’y ajoute un pays qui, sous le masque de la modernisation, n’a jamais été si répressif envers toute voix discordante et qui, à la suite de la purge récente, voit pratiquement tous les pouvoirs se concentrer entre les mains d’un seul et même homme. En attendant que «MBS» devienne roi, l’Arabie saoudite est d’ores et déjà entièrement soumise au seul fait du prince.
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